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Traduction Martine Rémon

juillet 2009 | Le Matricule des Anges n°105 | par Martine Rémon

Renégat, roman du temps nerveux, de Reinhard Jirgl

Un journaliste en rupture de ban, alcoolique et divorcé, entreprend une cure de désintoxication et tombe amoureux de sa thérapeute. Un garde-frontière de l’ex-RDA, fou de douleur après la mort de sa femme, se fait taxi de nuit pour aider une jeune Ukrainienne, réfugiée clandestine. Quatre vies, quatre destinées, Berlin au début des années 2000. Ceci pour l’intrigue du texte en chantier, l’avant-dernier roman de Reinhard Jirgl et le deuxième titre à paraître en français, après Les Inachevés publié chez Quidam Éditeur en 2007.
C’est au hasard de mes pérégrinations internautiques que j’ai découvert cet auteur, début 2003. Disponible en ligne, l’incipit de Die Unvollendeten (Les Inachevés) avait suscité ma curiosité pour cette orthographe plutôt insolite. La plupart des critiques allemandes soulignaient une proximité d’écriture avec Arno Schmidt, un auteur « rare » que je venais de découvrir dans les traductions de Jean-Claude Hémery et de Claude Riehl. Ce premier contact « visuel » me laissait pourtant subodorer autre chose et la lecture complète du roman confirmerait mon sentiment. Passé le choc de l’émotion littéraire, je ne pouvais en rester là.
En novembre 2003, pleine d’audace, je commençai à transposer en français ce texte singulier. Je traduisais alors pour mon plaisir, en pure dilettante. Or, plus j’avançais, plus s’imposait à moi la nécessité d’avoir l’avis d’un traducteur chevronné. Devant les subtilités du texte, je ne voyais que Claude Riehl pour se prononcer sur la qualité de ma « production ». Contacté début 2004, il accepta de lire mes ébauches. Quelque temps plus tard, le « verdict » tombait : j’étais taillée pour la route. Ne restait plus qu’à trouver l’éditeur prêt à publier ce tandem auteur/traductrice inconnus. Quidam Éditeur se lança dans l’entreprise risquée, convaincu par la seule lecture du synopsis et des 30 pages d’essai de traduction que je lui fis parvenir fin 2004.
Le projet de l’éditeur étant de publier « tout Jirgl » - onze romans parus entre 1990 et 2009 - me voici une nouvelle fois en plein corps-accord avec les mots. La tâche s’avère titanesque et exige une pêche d’enfer pour restituer le plus scrupuleusement possible cette écriture à laquelle l’auteur donne délibérément une dimension physique en introduisant des systèmes symboliques différenciés dans le code alphanumérique courant, usant de l’antéposition des signes de ponctuation, des cinq formes d’écriture différentes du mot « et », etc. Il dépasse ainsi la mise en page parlante, recherchée par A. Schmidt, pour injecter de la sensualité dans le texte et transformer la vue en organe stimulateur de/des sens. Pour le lecteur : fi des codes de lecture classiques ! Pas simple, direz-vous. Un véritable casse-tête de traduction aussi. D’autant que l’allemand se prête facilement au jeu de la polysémie et que le français paraît plus réticent. À la question : comment s’opère la chimie (l’alchimie ?), je n’ai pas de réponse. Le texte m’apprend tout de lui. Puis vient la gastronomie idiomale & le cousu mots, le maniement de la truelle métaphorique & le court-circuitage des tableaux sémantiques, le plastiquage de la langue & le replâtrage des infidélités linguistiques. Jirgl pétrit ses mots. J’essaie modestement d’en faire autant avec les miens. Une gageure de tout instant, dans l’art des possibles et des dépassements, avec la trouille face au texte et le salto mortale sans filet. Ou presque. Depuis fin 2004, l’auteur et moi entretenons une correspondance régulière, étoffée de catalogues de questions sur la syntaxe, les jeux de mots, les métaphores, l’histoire des deux Allemagne, les aspects culturels, sociologiques, sémantiques, les sources des citations, etc. Tous nos échanges se font par voie postale, accessoirement par téléphone : l’auteur n’a ni fax, ni Internet. Avec Renégat, roman du temps nerveux, nous sommes à 113 questions pour env. 200 pages traduites sur les 554 du roman. Présenté comme une pièce en trois actes (Jours de naissance - Jours de travail - Jours de mort) avec une scène d’introduction et un épilogue, Jirgl y instille de la philosophie, de la sociologie, des sciences physiques et naturelles, des formules mathématiques (les moins compliquées à traduire !), soit autant de langages auxquels il convient de s’adapter, avec, en prime, une autre originalité : le recours aux hyperliens à l’intérieur même du texte ! Imaginez un instant l’état du chantier dans ma « fabrique des mots » ! Petit fragment de style, livré brut de décoffrage :
(…) Durant le trajet tout à l’heure 1 femme, assise en-solo sur la banquette dans la rame du métro ; monte un poivrot, les joues cramoisies & le visage étalé sous la chevelure blond filasse, le corps massif marinant dans des effluves de schnaps&groscul, il se radine le pas titubant, se colle contre elle (la femme se pousse d’1 cran). La nuit-à-se-cuiter & la bière dans la boîte entre ses mains grossières ont rendu le pingouin lyrehic, il vient d’identifier en-cette-femme lobe-jet où déverser la flamme de son orgue de Barbarie : la voix mousseuse & des ondoiements frissonnant sur ses étangs oculaires, il lui fait du plat & susurre des chositudes sur la lumière-cristalline d’un matin d’automne après une chaude nuit noire de pluie, sur le doux parfum de pommes dans ses cheveux (pour rapprocher son visage du sien :) et il renifle de tout son soûl la longue chevelure lisse qui tombe sur les épaules - Le doux parfum semble flatter la femme, elle se rapproche d’1 cran pendant que le métro scande dans sa course tonitruante les syllabes dégringolées de la bouche du poivrot. 1 sourire éclaire maintenant le visage de l’esseulée - les voilà tous deux à se faire la conversation -, et patati et patata c’est si facile é merveilleux d’être Un Gagnant. Mais ta victoire aussi, mon !pote, ne durera que d’1 station-à-l’autre. Puis ils s’en vont - le poivrot, la femme - s’éloignent, chacun dans 1 direction. Un adieu si magnifiquement=douloureux laisse en reste quelques fagots de nostalgie pour les flammèches éternelles de la lumière intérieure (…).
Traduire Reinhard Jirgl est d’abord un plaisir pour moi, mais c’est aussi un travail éreintant, parfois désespérant. Quand j’ai l’impression de ne plus voir le bout du tunnel, je repense à cette petite phrase latine, per ardua ad astra, par l’effort atteignons les étoiles.

* Martine Rémon a traduit entre autres Rome, regards de Rolf Dieter Brinkmann. Renégat, roman du temps nerveux est à paraître chez Quidam Éditeur en 2010.

Martine Rémon Par Martine Rémon
Le Matricule des Anges n°105 , juillet 2009.