Nombreux sont les peintres qui, déclarés « dégénérés » par le régime hitlérien, durent se résoudre à l’exil. Pour ne pas subir le même sort que Nolde, Kirchner ou Beckmann, le narrateur imaginé par Stéphane Velut choisit opportunément de retourner sa veste et de changer de palette : ce détracteur d’Hitler, lui qui jusqu’ici ne peignait que des fous, décide d’accepter une importante commande du Reich. Il devient dès lors le quasi possesseur d’une fillette dont il doit exécuter le portrait, à la gloire de l’Allemagne aryenne. Malgré le huis clos précautionneux de son petit appartement munichois, le peintre n’est pas sourd à l’abomination qui se fomente à l’extérieur ; le fracas des bottes et des chants nazis, une certaine mauvaise conscience alliés peut-être à « ce quelque chose de rugueux » que tout homme porte en lui en feront vite le bourreau pervers d’une proie facile, puisque toute à lui. Obsédé par la perfection mécanique autant qu’il est révulsé par la chair, il fait fabriquer sur mesure, par un célèbre prothésiste médical, une sorte de gangue de métal et de cuir, un carcan obscène qui, une fois ajusté sur le corps de l’adolescente, en fait un automate de douleur, muet et mutilé, qu’il manipule à loisir : « Deux délicates lames de cuivre prenaient ses cils et actionnaient à chaque clignement de paupières de petites tiges articulées sur ses tempes. La finesse du mécanisme était simplement stupéfiante. (…) Il suffisait de la coucher pour que les minuscules poids équilibrant celui de ses paupières basculent les tiges et lui ferment inexorablement les yeux. »
Rédigé dans la hâte en deux jours et deux nuits, dans l’attente d’une arrestation imminente, c’est le carnet de ce narrateur en plein apprentissage de la folie persécutrice qui nous est donné à lire. Le premier roman de Stéphane Velut, neurochirurgien et professeur d’anatomie, s’arrête au beau milieu d’une phrase ; au lecteur d’imaginer la fin, non dite, mais déjà écrite par les événements d’après 1933, auxquels le petit appartement de Munich fait une monstrueuse chambre d’échos.
Cadence
de Stéphane Velut
Christian Bourgois, 190 pages, 15 €
Domaine français Cadence
septembre 2009 | Le Matricule des Anges n°106
| par
Camille Decisier
Un livre
Cadence
Par
Camille Decisier
Le Matricule des Anges n°106
, septembre 2009.