Ces rumeurs à leur sujet, contradictoires, charitables, intolérantes, ce brouhaha autour d’elles, sans trop vouloir les nommer, sans même trop savoir comment, de toute façon, les nommer. C’est ça aussi qui inquiète, qu’on ne puisse pas leur coller un nom, à celles-là, qui mènent ces vies. Et quel sens leur donner, à ces sortes de vies. Celles qui les mènent ont tellement l’air de s’en foutre. De tourner le dos au monde avec une espèce de souverain et terrible mépris. Qu’est-ce qu’elles essaient de nous dire, non, elles n’essaient pas, n’essaient rien de nous dire. Mais qu’est-ce qu’elles nous signifient quand même, sans le vouloir, ces filles qui, sous nos yeux, on dirait sciemment, préfèrent se laisser couler dans ce monde d’aujourd’hui plutôt que de tenter à tout prix de s’y cramponner. Comment penser ça, et certains soirs comment éviter de trop le penser. De le comprendre trop, ce sabordage délibéré. Cet attrait qui sait du néant. Quand j’ai besoin, moi, de les nommer, je dis les fiévreuses, et basta. De toute façon, un nom ou un autre, le quarteron d’offusqués aura à redire. Pour ça aussi qu’on a du mal à comprendre, l’esprit a besoin de nommer pour tenter de saisir. Ne sera jamais tranquille, l’esprit, avec ce qu’il n’aura pas pu se formuler, c’est comme ça. Pour ce qu’on en sait, sept sur dix on connu dès le départ la dèche, l’échec scolaire, la violence, l’alcool. Mais trois sur dix, maintenant, et de plus en plus, sont allés en fac, en licence trois, ont eu des papas ingénieurs. Parce qu’il y a ça aussi, l’impossibilité de réduire leur cas à une affaire socio-économique. Et ça se corse par la résistance farouche qu’elles opposent dès qu’on veut les réintégrer dans ce monde qu’elles ont lâché. Leur refus de toute amélioration durable et structurée de leur état. Alors qu’on aurait cru que, si leur situation se résumait à une espèce de victimologie socio-économique, elles allaient s’empresser de saisir toute main tendue. Et non, s’il y a bien une constante dans leurs réactions, c’est ce refus de réintégrer du
Des plans sur la moquette Sans vouloir les nommer
septembre 2009 | Le Matricule des Anges n°106
| par
Jacques Serena
Sans vouloir les nommer
Par
Jacques Serena
Le Matricule des Anges n°106
, septembre 2009.