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Histoire littéraire Les cloches de Paname

septembre 2009 | Le Matricule des Anges n°106 | par Camille Decisier

Visite guidée des marges, sur l’itinéraire des enfants pas gâtés de Paris. Parue en 1952, cette chronique déambulatoire de la dèche par Jean-Paul Clébert est un document rare.

Paris insolite

Illustration(s) de Patrice Molinard
Editions Attila

Il fut un temps où vous auriez pu entendre les coqs chanter à l’aube sur le terrain plus que vague qu’était le parc de Bercy, réveillant les miséreux qui filaient alors se décrasser impunément les roubignoles dans l’eau de la Seine, à hauteur du Pont des Arts ou du quai de la Râpée. Maubert, la Huchette et Saint-Paul n’étaient pas les vitrines hors de prix que l’on sait, mais bien « le paradis (je veux dire le poulailler) des cloches ». Les concierges s’appelaient pibloques ou cloportes, et les brocanteurs des rues, les chiffes, se croisaient par centaines, qui sillonnaient Paname en poussant des landaus chargés d’un barda vertigineux - antiques poussettes de récupération, acquises de haute lutte et qui les distinguaient de la vermine plus ordinaire.
Il fut un temps où les Halles avaient déjà quelque chose d’un centre commercial, mais au sens 1950, c’est-à-dire d’un libéralisme passé de mode en matière d’accès aux rebuts, épluchures et autres rogatons. Ventre de Paris, selon la formule, entrailles légendaires et véritables, mais aussi son bas-ventre : entrelacs de boyaux foutrassiers où l’on pouvait pour pas cher se serrer une gigolette à toute heure de la nuit - et du jour. Clébert s’y attarde, sur ce quartier des Halles, au centre de la coquille de l’escargot parigot, au cœur de la spirale qui déroule la numérotation des arrondissements. Il y fait les cent pas, s’en éloigne pour une virée à Pigalle ou une nuit sur les rives d’Austerlitz, mais y revient sans cesse, fatalement. Car l’endroit est réputé, dans le vaste petit milieu des gueux, pour combler à la fois les besoins du sexe et de l’estomac…
Et, tenez-vous bien : en cherchant bien, c’est-à-dire grâce aux accointances ad hoc, vous auriez pu dénicher rue de Fourcy, en plein Marais, un authentique bordel pour clochards, aujourd’hui disparu, si ce n’est de la mémoire de ceux qui le fréquentèrent
Marcheur par instinct de survie.

Ni voyeuriste ni misérabiliste, sans artifice et, plus remarquable encore, sans céder aux facilités du pittoresque, le livre de Clébert et Molinard ressuscite un Paris effectivement insolite - insolite étant bien ce qui est contraire à l’usage général qu’on en fait. Collage d’une foule de fragments écrits « à la sauve-qui-peut » aux instants et lieux dits, sur des lambeaux dont Clébert eut bientôt les poches pleines et dont il proposa un premier assemblage à Denoël en 1952 ; le bagou que l’on y entend est celui d’un jeune homme qui choisit délibérément la voie marginale, sautant une nuit le mur de son pensionnat rue de la Pompe pour rejoindre le trottoir. Mais le côté orwellien du trottoir, là où ça sent l’urine et la vinasse, là où les nuits sont plus longues et plus froides qu’en face, là où s’alimenter consiste à ne pas mourir de faim, et ne pas mourir de froid à s’enrober de papier journal. Sur ce pavé-là d’après-guerre on resquille, on fait les métiers qu’on peut (l’auteur lui-même sera métreur d’appartement puis vendeur de journaux à la criée), on devient curieux par nécessité vitale et marcheur par instinct de survie. Clébert partage sans tricher la compagnie des mouisards, traîne-misère et autres meurt-de-faim ; et sur ses pas, sur les leurs, c’est un Paris interlope que l’on arpente plus qu’on ne le visite, et dans lequel on pénètre le plus souvent par la porte des bistrots. Paris « où l’on tire les jours plus vite que les bouffées d’une cigarette » et qui change de peau à volonté, d’une crasse monumentale, médiéval à ses heures, et soudain dantesque, futuriste, livrant à l’improviste des scènes d’une bizarrerie presque post-atomique : « Un soir que le froid m’avait chassé des berges de la Seine (…), je me décidai à remonter sur le boulevard et à marcher jusqu’au petit jour, mais de l’autre côté des bâtiments puants de la Douane, j’aperçus un feu brûlant dans la rue Sauvage entre les rails du train qui tourne à cet endroit… » Plus d’une centaine de photographies, commandées deux ans plus tard pour une réédition par le Club du meilleur livre, alimentent le texte - à moins que le texte ne serve à légender l’image, belle confusion que seule permet une solidarité étroite entre les visions de deux hommes (l’un écrivain, l’autre photographe) qui ne se connaissaient pas mais s’entendirent immédiatement - « entente qui allait, je l’avoue, jusqu’au partage de bitures beaujolaises qu’on ne peut guère éviter en fréquentant les plus francs buveurs et parfaits ivrognes de la capitale ».
Qui connaît un peu cette dernière ne pourra s’empêcher de dresser un état des lieux comparé. Et de dénombrer les enseignes éteintes, les rues renommées, notant au passage la disparition des beugleurs de canards volants ou de l’haltérophile de la place Blanche. Quelque chose, pourtant, n’a pas changé. Aujourd’hui encore, pour ceux qui y sont à la rue et pour qui le sommeil, le sexe, l’alimentation sont des bagarres quotidiennes, « la traversée de Paris est plus lente que celle d’un département ». À ceux qui en doutent, et aux autres, on ne saurait trop conseiller, livre en main, de suivre le guide.

Paris insolite de Jean-Paul Clébert
Photos de Patrice Molinard, Attila, 350 pages, 22

Les cloches de Paname Par Camille Decisier
Le Matricule des Anges n°106 , septembre 2009.
LMDA PDF n°106
4,00