Vacarme N°49
Faut-il des lois pour gouverner l’enfance ? N’est-ce pas lutter contre sa nature que de la cadrer ? Elle qui serait plutôt à côté, en dehors d’une société normée, « avec les arbres, les animaux, avec les fous, avec les étrangers, avec les criminels, avec les bandits ». La revue trimestrielle Vacarme a fourbi ses armes artistiques, politiques, militantes et savantes, pour monter le chantier de l’« Enfance irrégulière ». Irrigué des dessins en miroir noirs et blancs de Kiki et Loulou Picasso, le dossier ouvre toutes les brèches où peut s’installer l’enfance forcément en folie. Celles aussi où on la condamne par parti pris idéologique, politique, et par les rênes de la peur, à se taire. L’avant-propos est sans appel : d’octobre 2004 à mai 2009, les lois déferlent et les mots claquent : « Détecter, redresser, contrôler ». Voici l’enfance réduite « au risque ou au danger qu’elle porte ou qu’elle encourt ». Pour Christian Carlier, spécialiste de l’histoire des prisons, « dans des périodes de crise du capitalisme, on s’est régulièrement servi des jeunes comme repoussoir, et comme dérivatif. » Jérôme Lèbre ouvre lui un espace de liberté en rattrapant l’enfant fuyard, Antoine Doinel, saisi par la caméra de Truffaut dans Les 400 Coups. Il rappelle combien « la réalité de l’enfance consiste, justement, à improviser une manière de s’écarter de son destin ». Sacha Zilberfarb relate les écarts salvateurs d’Henri le Vert de Gottfried Keller, et de Theodor Fontane. « Un mauvais élément a gâté cet enfant, on brisera ces vilaines bizarreries. » On se délecte des pensées de l’anthropologue Jack Goody sur l’écriture, et des réflexions de Diane Scott sur Avignon ( Wajdi Mouawad et « son impasse artistique et intellectuelle »), de la plongée physique et linguistique de Marie Cosnay dans le TGI de Bayonne. Vacarme est décidément un kaléidoscope abouti d’une pensée en mouvement.
Vacarme N°49 97 pages, 10 €