Parmi ses multiples publications, le philosophe François Dagognet se distingue par l’intérêt qu’il a déjà pu porter à des objets aussi compliqués à penser que les surfaces, ou encore les déchets et détritus. Là, il s’enquiert du « peu », « presque rien », ou « moins que rien ». À prendre au sens substantif : le livre traite d’objets tels que brin, poussière, empreinte, fragment, afin de « s’ouvrir à l’extrême minceur » à l’encontre de la tendance spontanée de la pensée à se tourner vers le plus, à privilégier le volumineux, le plein, le lisse et le complet. Voilà par quoi il est intéressant, plaisant, voire à certains égards précieux : la question de l’ontologie de ces choses infimes non seulement relève du défi de par la gratuité intellectuelle de la démarche (les enjeux pour la somme des connaissances sont en effets à peu près nuls), mais aussi vous repose l’esprit, fatigué de sempiternelles questions massives et insolvables : le bien, le mal, l’origine de l’univers, son issue, la liberté, la responsabilité… Avec François Dagognet, on plonge avec délice dans le luxe de l’inutile ; sinon même, on pratique une forme de résistance ou de l’insoumission à la doxa du grave et de l’urgent. L’essai se situe dans le sillage de l’écriture du détail façon Robbe-Grillet (« déjouer le mythe de la profondeur »), de l’étude sur l’ordinaire manière Lautréamont ou Quintane, de la truculence du peu de Thomas De Quincey ; fait penser à la minutie suspensive de certains peintres et, d’une certaine manière, à des maîtres de l’impératif du réel, de l’exigence du (bon) sens et de la méfiance de consensus, tels que Clément Rosset, Jacques Bouveresse ou François Roustang.
Et si la méthode artistique bien davantage que scientifique prête à la discussion, si on s’étonne d’absences de certaines références (Strawson ?) ou outils (la Gestalt ?) et de la volatilité d’arguments souvent convoqués ad hoc, si les injonctions émotives au lecteur prêtent à sourire, on devine que l’humour, le pastiche et l’autodérision (« nous pensons avoir empêché la malédiction qui frappe le « peu » ») ne sont pas étrangers au philosophe de la modeste matière.
POUR LE MOINS
DE FRANçOIS DAGOGNET
Encre marine, 125 pages, 19 €
Essais Pour le moins
janvier 2010 | Le Matricule des Anges n°109
| par
Marta Krol
Un livre
Pour le moins
Par
Marta Krol
Le Matricule des Anges n°109
, janvier 2010.