Une famille, dans un lotissement lambda. Une agglomération triste, un alignement de maisons roses « de Dunkerque à Perpignan », où se succèdent « ronds-points, lotissements, ronds points, lotissement ». Nous sommes en France. Au milieu du salon d’un pavillon tout aussi anonyme que ses voisins, la mère, la fille et le gendre attendent le retour du père, qu’une ambulance doit ramener de l’hôpital après une tentative de suicide. La treizième. Afin de tenter d’endiguer les pulsions auto-meurtrières du pauvre homme, ils ont prévu d’inviter aux retrouvailles… une équipe de télé ! « La seule solution, le plan guérison c’est le choc psychologique ! Imaginez : treize suicides, vous rentrez chez vous, comme d’habitude et chez vous, il y a quoi chez vous ? (…) Le choc de la télé ! »
Dans Nos écrans bleutés, Gilles Granouillet, auteur associé à la Comédie de Saint-Etienne depuis 1999, s’ingénie à dénoncer par la farce l’emprise de la télévision sur le quotidien. Satire grinçante et comique, Nos écrans bleutés met face à face l’aveuglement du temps présent, qui fait du spectaculaire une unité de valeur, et la bêtise collective pour qui le télégénique sert de norme idéale. Finalement, l’instant tant attendu de la consécration cathodique n’arrivera pas : le père, accablé, se collera une quinzième balle dans la tête devant la porte de son domicile. Alors, la mère : « Tu ne pouvais pas attendre d’être dedans ? (…) Regarde devant ! Qu’est-ce que tu vois ? (…) C’est tout préparé depuis des semaines et toi tu te tues dans le jardin ? »
Sans souci de réalisme mais à travers une sorte de frénésie scénique, c’est en célébrant avec sarcasme le mariage du théâtre et de la télé-réalité que Gilles Granouillet cherche à restituer à la scène toute l’intégr(al)ité de sa représentation du monde.
Nos écrans bleutés
de Gilles Granouillet
Actes Sud-papiers, 46 pages, 10 €
Théâtre Bienvenue chez vous
février 2010 | Le Matricule des Anges n°110
| par
Etienne Leterrier-Grimal
Un livre
Bienvenue chez vous
Par
Etienne Leterrier-Grimal
Le Matricule des Anges n°110
, février 2010.