303 N°108 (René Guy Cadou, Luc Bérimont)

La revue 303, justifiant son nom par « l’addition de quelques nombres que le hasard de l’alphabet a bien voulu donner », travaille quatre fois l’an à sortir de « leur existence paisible et isolée la recherche et la création, l’identité culturelle ignorée ». Elle a été fondée en 1984 par Jacques Cailleteau, conservateur général du patrimoine. C’est peu dire que depuis les bords sableux de la Loire, 303 ne s’est jamais cristallisée sur une quelconque défense de la tradition. Superbement composée, agrémentée de photographies et de multiples documents manuscrits, sachant préserver la lisibilité de son contenu par des mises en page audacieuses et élégantes, son hors série de fin d’année est tout entier consacré à René Guy Cadou et Luc Bérimont et à l’école de Rochefort. On connaît, non sans parfois quelques clichés qui lui sont attachés, cette école de la poésie française, les liens qu’elle ne cessera d’entretenir avec les éléments de la terre et de l’eau, le chant de la femme aimée, le règne végétal et celui de l’enfance, se méfiant toujours de tout hermétisme. Fondée en 1941 par Jean Bouhier et René Guy Cadou (1920-1951), à Rochefort-sur-Loire, en pleine occupation, cette école, que Cadou définissait plutôt comme une « cour de récréation » d’amitiés venues souvent de l’Ouest (Guillevic, Follain, Clancier, Béalu, Becker…), entendait brandir les armes libres de la création contre le sérail de l’idéologisation. Si Cadou ne fut pas des plus tendres avec la poésie issue de la résistance, c’est dans un rapport minimal de la littérature à l’Histoire qu’il voyait, presque contradictoirement, le poème s’empreindre des tragédies de l’existence et de la société. Son premier livre, Brancardiers de l’aube (1937), donnait à voir, alors qu’il habitait quai Hoche à Nantes, les trajets des brancardiers emmenant à la morgue les accidentés de la route ; en 1936 il évoque Federico et la Guerre d’Espagne, « l’exode des camarades de Barcelone ».
Ce hors série, véritable panorama d’une période de la poésie française quelque peu oubliée, marquera sans nul doute sa reconsidération, des images fulgurantes au lyrisme parfois grinçant qu’elle laissa (« Déchire sur mes dents le bâillon du silence » (Années-Lumière, 1941) à ses traces rêveuses (« C’est cette graminée qui rêve. (…) Cette autre est comme une fumée. Elle sent l’anis et la chèvre » Bérimont). On y découvrira aussi la forte amitié qui lia Cadou et Max Jacob, et l’influence qu’eut pour lui Pierre Reverdy. C’est également tout un pan de la vie culturelle qui est richement illustré ici, la relation Cadou/Bérimont et leur œuvre parallèle, très tôt suspendue par la disparition de René Guy, la seconde vie de l’école de Rochefort grâce, notamment, à Luc Bérimont qui diffusa dans son émission radiophonique La fine fleur (1963-1972 - ORTF), le meilleur de la poésie et de la chanson française d’alors (Léo Ferré, Jacques Douai, Hélène Martin, Catherine Sauvage…).
303 N° hors série 108/2009 - 269 pages, 30 € (Hôtel de la Région, 1 rue de la Loire, 44966 Nantes cedex 9)