Depuis 2004, la maison d’édition Tinta Blava (Encre bleue) créée par Llibert Tarrago invite à découvrir la littérature contemporaine catalane, principalement de genre romanesque et ses auteurs Mercè Rodoreda, Jaume Fuster, Mercè Ibarz, Maria Barbal… Elle intègre aujourd’hui le catalogue Autrement. L’occasion de révéler un écrivain aussi important qu’attachant des lettres catalanes : Josep Pla. à la fois romancier, auteur de nouvelles, d’un journal Le Cahier gris, reporter, chroniqueur, Josep Pla fut prolifique, plus de trente mille pages écrites en soixante ans. à l’instar d’un Giono, il célébra la terre, la mer, les habitants de la Costa Brava (d’avant l’invasion touristique), surtout le haut Ampurdan, Cadaqués, son Cap Creus et sa côte rocheuse voisine de la France. Le court récit Pain et Raisin relate les rencontres du narrateur avec un contrebandier portant ce surnom. Le premier rêve de faire construire une maison dans une olivaie que borde une calanque à Es Jonquet. « Cette olivaie est une pure merveille, l’une des plus séduisantes et des mieux tenues de la commune de Cadaqués. On dirait un parc de replats enrobés de clarté. Les enclos d’arbres à feuilles persistantes sont généralement un peu humides et sombres, ternis et déliquescents. Les olivaies, elles, sont de vrais jardins clairs, secs et énergiques, électrisés de vie et de grâce. » Es Jonquet est devenue hiver comme été sa promenade quotidienne. Caché derrière une cabane, Pain et Raisin l’interpelle, lui demande de surveiller une barque, amarrée juste dans son endroit de prédilection. Elle appartient à un concurrent direct, Verdera le gras, qui veut contrôler le trafic de tabac. Le narrateur accepte et aura sa part de responsabilité dans le dénouement tragique du récit.
Au-delà du caractère exotique de l’aventure et de ses qualités de conteur, Pla parvient avec ses descriptions de paysages (côte déchiquetée, criques, murets, garrigues…), les différentes lumières et variations météorologiques, ses connaissances en botanique, en géologie à faire vibrer l’essence de ce pays venté, coloré, désolé qui alterne douceur et tourmente. En peintre et musicien, il y rajoute une dimension mystérieuse, un paganisme tout romantique. La crique d’Es Jonquet apparaît encore aujourd’hui identique à ce qu’en relate l’ouvrage. Hormis quelques riches demeures aux façades plaquées de schiste qui mitent les limites du Parc naturel. Bien intégrées dans le paysage, seuls leurs gazons, palmiers et vidéo-surveillance jaunis par les embruns déparent. Le livre sous le bras, le lecteur peut refaire le même chemin que Pla, de préférence au printemps et en automne, quand ce pays redevient lui-même. à Cadaqués, partir de la place aux herbes et remonter la ruelle San Felipa. Au sommet, un charmant petit cimetière aux murs blancs que vous laisserez sur la droite, vous descendrez alors vers port Lligat et l’extravagante maison de Dali (à visiter en réservant une semaine à l’avance). Après la plage, longez le lit du torrent des Bucs. Dépassez les ruines de la bergerie d’En Morell et prendre « le sentier traversant le désert au-dessus de S’Alqueria, et si vous ne lâchez pas ce sentier, il vous conduira à l’entrée de l’olivaie du Jonquet. » Balade facile d’une heure. Là, vous pourrez rêver et « passer de longues heures à éprouver la soyeuse déchirure du vent dans les olivaies, à contempler les transfigurations de la lumière sur l’eau calme et somnolente, à suivre dans la mer transparente la progression lourde d’un bar, le sommeil de quelques rougets sur la tache vitreuse d’un fond de sable, les pirouettes des siouclets au-dessus de la chair translucide du miroir aquatique. »
Pain et Raisin de Josep Pla - Traduit du catalan
par Llibert Tarrago, Autrement, « Tinta Blava », 92 p., 12 €
Domaine étranger Un goût d’olive amère
juin 2010 | Le Matricule des Anges n°114
| par
Dominique Aussenac
A partir d’un récit d’aventures, le Catalan Josep Pla (1897-1981) exalte l’âme solaire du Cap Creus. Une invitation à flâner par des sentiers de contrebande.
Un livre
Un goût d’olive amère
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°114
, juin 2010.