Quand cela s’est-il institué ? À vue de nez, Timothée dirait : voilà un quart de siècle. L’été, on rediffuse. Bêtisiers et Best of. À la queue leu leu. Avantage pour les chaînes : le moindre coût. Avantage pour les Denisot, Ruquier, Cauet et autres Ardisson : personne n’apparaît à l’horizon, qui pourrait contester leurs territoires. (La télé d’antan profitait de l’été pour se risquer, innover, tester. Mais c’était, ma bonne dame, la télé d’antan.) Cette pratique du recyclage estival, ne pas miser sur les jeunes chaînes de la TNT pour y échapper. Au contraire : elles, c’est du 1er janvier à la Saint-Sylvestre qu’elles remettent en piste des pouliches de l’an dernier comme à peu près tous les canassons d’avant le déluge.
Timothée a fait ses provisions pour l’été, et se repassera, au lieu de ce qu’on lui réserve, quelques perles enregistrées, d’eaux diverses. Il ne se lassera pas de s’entendre vanter, pubs, cet industriel soucieux de réduire son empreinte écologique, cette voiture citoyenne, ce rafraîchissement créateur de saveurs, ce cosmétique contenant un serum resubstanteur, ou ce nouveau gel sans effet carton. Et comment ne pas s’extasier devant ce soin hydratant aux extraits d’olivier destiné à oublier les sécheresses intimes ? Ou devant ce germe de blé, expert diététique par nature ?
Rayon docus… Dans une rétrospective sur l’invasion de Gaza par l’armée israélienne : Israël se prépare à une attaque terrestre. Magistral se qui fait d’un verbe actif un pronominal, presque un passif, et transforme - le ton et la mine du commentateur à l’appui - l’agresseur en agressé ! éclairant, ce policier d’Ile-de-France qui résume ainsi son travail pendant ses rondes : Il s’agit de mettre une infraction pénale sur un comportement. (La méthode pourrait-elle expliquer certain malaise ambiant dans nos si sensibles banlieues ?) Un autre, de province, à qui l’on demande où en est l’enquête en cours sur un assassinat : Nous avons déjà beaucoup d’indices ; il nous reste à vérifier s’ils correspondent à cette affaire. Un gardien, à propos de l’épidémie de suicides dans les prisons françaises : La semaine dernière, j’ai eu à signaler un détenu qui avait tendance à s’enfermer. Philosophante, cette candidate au titre de top-model décerné par M6 : Dans décider, il y a idée. Poétique, cet économiste commentant la mise à l’écart du P.-D.G. d’une banque : On ne maintient pas un pédophile à la tête d’une colonie de vacances. Soucieuse, cette présentatrice demandant au reporter chargé de suivre des négociations salariales dans la Fonction publique : Est-ce que c’est aussi pessimiste que ce matin ? La même, un autre soir, s’apitoyait sur un cardinal, au col du fémur fracturé, victime malgré lui d’une agression contre le pape.
Telle sémillante ministre, récemment passée de l’écologie à la Prospective, soucieuse sans doute de réchauffer son image glacialement bourge, participe à une émission de jeux entre un humoriste, un sportif et une lauréate de la Star Académie, mais, désireuse aussi d’exhiber son excellence, cite, citons, le propos d’un philosophe grec, comme ça, qui s’appelait Sénèque. Le comme ça essaie, à l’évidence, de faire passer la pilule du pédantisme, mais ne fait pas avaler à Timothée que le précepteur de Néron, mort d’un suicide ordonné par son ancien élève, soit dépouillé de sa latinité, serait-ce pour être promu hellène. Il décide d’administrer à la ministre, en guise de fessée, l’envoi des œuvres complètes du dramaturge et moraliste romain.
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En revanche, qu’adresser (une collection de parapluies ?) au pusillanime présentateur qui, craignant sans doute qu’on ne lui impute la capacité d’avoir une opinion personnelle sur quoi que ce soit, juge utile - commentant une image où le retraité McEnroe descendu sur le court en costume de ville, après un échange de quelques balles avec un tennisman en activité et en tenue, conclut par un jet de raquette -, d’ajouter à comme il le faisait au bon vieux temps, un entre guillemets des plus poltrons. Entre guillemets protège ici notre commentateur des reproches que pourraient lui adresser 1) les téléspectateurs qui n’aimeraient pas qu’on se moque de la nostalgie de la jeunesse, la leur étant, comme celle de McEnroe, passée ; 2) ceux qui détesteraient McEnroe et plus généralement les mauvais joueurs, et ne pourraient sans poussée d’eczéma entendre célébrer comme un bon vieux temps celui où les projecteurs étaient braqués sur cet enfant gâté-là ; 3) les parents qui pourraient se plaindre de voir encouragée chez leur progéniture la propension à contester la loi et l’ordre, de plus en détruisant une raquette, coûteux matériel.
Remarquable, lui, pour son extra-lucidité, ce téléspectateur lambda, membre d’un panel réuni pour désigner le meilleur présentateur de journal télévisé, qui lâche, désabusé : De toutes façons, ils ont tous un dompteur ! Dans l’ordre des lapsus, à qui attribuer la palme d’or de l’année ? Timothée aime bien, du fringant Jean-François Copé, qui n’est pas homme à lésiner sur les casquettes ni sur les jetons (à la fois maire, député, président de groupe et avocat d’affaires), ce sublime commentaire à propos du renoncement du nouveau P.-D.G. d’EDF à toucher, de surcroît, un très gros salaire chez Veolia : C’est sa décision, mais ça n’empêche pas qu’il garde toute mon estime. Copé, quant à lui, conservait un niveau inchangé dans celle de Timothée.
Vu à la télévision Rediffs
juillet 2010 | Le Matricule des Anges n°115
| par
François Salvaing
Rediffs
Par
François Salvaing
Le Matricule des Anges n°115
, juillet 2010.