Quand vous débarquez à Ibiza, pour peu que minuit vienne de sonner dans la nuit du 23 au 24 juin, vous êtes accueilli par un tonitruant feu d’artifice. L’île, et l’Espagne tout entière, fête la San Juan. Sur la plage, Allemands ventrus et Néerlandais à la peau pâle lèvent des bocks de bière à la santé de leurs équipes nationales de football, des bambins ouvrent de grands yeux fatigués sur les tatouages spectaculaires que des jeunes (filles aux cheveux courts ou garçons aux cheveux ras) exhibent sur leurs bras nus, leurs cuisses nues, leur ventre nu. Les pétards explosent sous les balcons et la mer se tait, attendant des jours meilleurs.
À votre arrivée à l’aéroport, peut-être serez-vous accueillis par un quarteron de jeunes filles bronzées, vêtues de shorts en jean et de t-shirts échancrés. Elles vous remettront un pack « V.I.P. » pour bénéficier de réductions sur les entrées au night-club l’Amnesia, une des plus prestigieuses boîtes de nuit de l’île, de l’Espagne, de l’Europe. L’Amnesia fête cette année ses vingt ans : impossible de ne pas le savoir.
Immanquablement on y voit un signe : l’écrivain Martin Suter qui a élu domicile sur l’île d’Ibiza, est l’auteur d’un premier roman, Small World dans lequel l’amnésie joue le rôle principal. Son héros, Conrad, victime de la maladie d’Alzheimer va, par la grâce de soins performants, recouvrer une partie de sa mémoire et mettre au jour un secret bien enfoui. Son troisième roman, Un ami parfait, lui s’attache à retrouver l’identité d’un journaliste qui a perdu la mémoire de cinquante jours de sa vie…
Le lendemain matin, sous un soleil enfin résolu à installer l’été, on prendra la route entre la ville d’Ibiza (Eivissa en catalan) et Sant Antoni. Le romancier suisse habite à mi-chemin, au bout quasiment d’un kilomètre de piste cahotique et rocailleuse. On passera devant l’Amnesia, justement, endormie sous le ciel délavé, aux abords de la quatre voies qui taille une cicatrice dans le paysage.
L’écrivain nous avait adressé par mail un plan dessiné à la main qui devait conduire jusqu’à la maison, faite de blocs aux géométries pures dessinée par sa femme, Margrith qui est architecte. Pour se repérer : un grand palmier (mais ils sont légion ici) et un large portail. On passe, bringuebalant, entre d’immenses propriétés entourées de murs ou de grillages que traverse un lapin malin. De belles demeures loin des bruits de la quatre voies, des boîtes de nuit et des plages, sous le soleil exactement.
La maison de notre hôte est double : une première bâtisse a été construite un peu après l’achat du terrain en 1997, l’année de parution de Small World. Une deuxième, sur un niveau supérieur, est désormais celle où le couple et leur jeune fille vivent. On n’a tout juste le temps de s’extasier sur des peintures accrochées aux murs et une cuisine open où l’inox impeccable fait penser à celles décrites dans Le Cuisinier. Martin Suter, dans un français à peine hésitant où l’accent suisse fait...
Dossier
Martin Suter
Les vies multiples de Martin Suter
D’abord publiciste talentueux, le Suisse alémanique a toujours écrit pour gagner sa vie. Avec succès. Devenu journaliste, chroniqueur, scénariste, parolier, le romancier a trouvé dès son premier roman un lectorat considérable. Grâce notamment aux univers qu’il restitue avec un réalisme troublant. Visite aux Baléares.