Le grand chantier de Maylis de Kerangal
Depuis la parution de Corniche Kennedy, il y a deux ans, son nom s’inscrit au programme de nombreux festivals ou rencontres littéraires. Maylis de Kerangal y apporte le témoignage heureux d’une activité – l’écriture, la littérature – dont l’exploration ne cesse de l’enthousiasmer. Publiée pour la première fois (en tant que romancière), il y a tout juste dix ans, son parcours romanesque ressemble à un jeu d’arcades où chaque parution symboliserait le passage à un niveau supérieur. Accompagnée depuis le début par le même éditeur (Verticales) et rejointe en cours de partie par ses acolytes de la revue Inculte, la romancière semble avoir revêtu une tenue d’exploratrice : le territoire à conquérir étant celui d’une littérature propre à appeler à elle toutes les représentations possibles du réel. On trouve dans son dernier opus cette manière de rassembler autour d’une fiction des morceaux hétérogènes du monde, ce qui, pour le moins, donne une épaisseur au roman. C’est peu ou prou la même manière utilisée par Claro dans CosmoZ ou Arno Bertina dans Anima Motrix, avec, toutefois pour chacun d’eux, une singularité de voix.
Puisque Corniche Kennedy déroulait son action sur Marseille, on pensait Maylis de Kerangal phocéenne, marcheuse en bord de mer : elle habite Paris où elle se partage entre l’appartement familial (quatre enfants) et un havre de paix, une chambre de bonne au terme d’un sixième étage casse-pattes non loin de la Place des Vosges. C’est là qu’elle écrit, dans cette dizaine de mètres carrés au-dessus des toits, comme si l’horizon était nécessaire à l’écriture.
Cette Parisienne est en réalité une Bretonne, née à Toulon en 1967 et qui a vécu jusqu’à l’âge adulte au Havre. Toulon, le Havre : deux ports où la famille quimpéroise a suivi le père, capitaine au long cours dans la marine marchande. Un fils est né deux ans avant Maylis, trois autres enfants suivront, dans la tradition de ces familles catholiques. Si Le Havre tient lieu de décor, voire de personnage, dans l’autobiographique Dans les rapides, le littoral marseillais de la Corniche Kennedy, le Bordeaux de Je marche sous un ciel de traîne renvoient peut-être aussi à des souvenirs d’enfance. Car la mer est une autre tradition familiale depuis que le grand-père paternel a quitté l’imprimerie de l’évêché de Quimper pour devenir officier de la marine marchande. Comme la romancière le raconte dans Je marche sous un ciel de traîne, en grimant l’épisode familial en fiction, c’est sur le bateau dont il était le capitaine qu’il rencontre la future grand-mère de la romancière, qui, en rupture de fiançailles, fuyait la métropole pour aller enseigner l’anglais à la Martinique. « Le Capitaine Tabasque avait rencontré Hélène, alors qu’il était second capitaine sur le paquebot Ville de Bordeaux. Une jeune femme seule, appuyée au bastingage, un large chapeau aux rubans de mousseline faseyant dans le vent, regardait la mer d’un air triste. Le capitaine Tabasque, qui pourtant n’était pas un...