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Domaine étranger Épopée capillaire

octobre 2010 | Le Matricule des Anges n°117 | par Pascal Jourdana

Un obsédé des cheveux trouve son coiffeur idéal. Un texte délirant d’Alan Pauls, et une vertigineuse analyse de l’Argentine.

Les cheveux… Pour l’homme accompli qui est au centre de cette histoire, c’est une obsession, et la cause de tortures incessantes : les domestiquer chaque matin ; rassembler son courage pour demander à un coiffeur un modèle de coupe dont il sait à l’avance qu’il ne sera pas respecté ; ruminer que ses cheveux lui survivront, car ils continueront à pousser, dit-on, dans son cercueil. Déjà, ne demeurent-ils pas incroyablement brillants, ceux qui ont été récoltés sur sa tête de gamin, alors que le reste de son corps se plisse et se boursoufle ? De même que la majorité des gens oublie au quotidien la loi inéluctable de la mort, de même la plupart des gens oublie leur appendice capillaire. Mais notre héros, lui, vit sous la loi des cheveux, et les étapes de sa vie sont marquées par les coiffures. L’une d’elles le hante, celle de son ami d’enfance Monti, qu’il avait surpris au retour de grandes vacances embrassant à pleine bouche une fille aux mocassins rouges. Cette fille – l’une de ses ex – caressait avec sensualité les toutes nouvelles boucles de son ami…
Sa monomanie dure jusqu’à sa rencontre avec le coiffeur paraguayen Celso, « un génie » qui lui trouve sa coupe idéale. Elle lui ira merveilleusement, ne lui demandera quasi aucun entretien. Un miracle tel qu’il se surprend très vite à ne plus penser le moins du monde à ses cheveux. Heureux, libre ! Mais cette liberté nouvelle va provoquer une succession d’événements inattendus. Son chien le mord au sang, sa femme le quitte, Celso lui-même disparaît mystérieusement. Et voilà que resurgit Monti, qu’il persiste à appeler son ami d’enfance alors qu’il le connaît si peu et qu’il n’a rien à rétorquer à son verbiage envahissant. Comme à chacune de leurs rencontres, quatre en quinze ans, il lui paraît méconnaissable. « Ce pourrait être un imposteur ». Cette fois, Monti lui annonce son cancer.

Chronique des années de plomb au ton parodique.

Alan Pauls s’empare de son sujet avec délectation, construisant un récit tout en verve et en mèches rétives. Jouant d’humour et de l’effet d’accumulation, le roman offre une aisance de lecture enthousiasmante. Mais l’auteur dépasse le stade de ce qui pourrait n’être qu’un fort réussi divertissement, d’abord imperceptiblement, puis plus franchement, avec l’apparition d’un nouveau personnage focal, « l’ancien combattant ». Celui-ci, revenu d’Europe et de l’exil, va raconter au « fou des cheveux » sa relation avec Celso, une virée dans les sous-sols d’une inquiétante discothèque, et surtout l’histoire d’une perruque liée au « cauchemar argentin » de la dictature militaire des années soixante-dix. Se lit dès lors trois interprétations de cette époque, trois visions qui se choquent et s’emmêlent. Celle du vétéran qui mène une véritable enquête pour élucider certains événements, certaines disparitions. Celle de Monti qui abreuve son camarade de souvenirs de leur jeunesse, se repassant le film Phantom of the paradise et les disques de Supertramp ou de Genesis. Celle de l’ex-obsédé des cheveux qui vit désormais dans l’insouciance du présent. Le roman ne cesse d’ouvrir de nouvelles pistes où souvent ce qui forge l’âme argentine tient une grande part, se matérialisant dans le modèle impeccable de coiffure à la Carlos Gardel, dans le bâtiment de l’École supérieure de Mécanique de la Marine militaire, « ex-théâtre de l’horreur », ou dans l’affection particulière que les personnages éprouvent pour une bouteille de whisky national Ye Monks.
Histoire des cheveux est une chronique des années de plomb et de sang vu à travers les cheveux, au ton à la fois parodique et impertinent. On ne voit que César Aira, autre écrivain argentin, pour oser pousser aussi loin une proposition de départ un peu loufoque mais somme toute crédible, jusqu’aux limites de l’invraisemblable. Comme lui, Pauls entraîne le récit dans des péripéties provoquées aussi bien par les conséquences de sa propre logique que par des digressions qui créent autant de potentialités narratives. Par des cabrioles de langage ou en introduisant soudainement un élément étranger, il oblige le lecteur désarçonné à revoir constamment le pacte de lecture dans lequel il s’est installé, sans jamais le perdre ni le décevoir. Aira est né en 1949, Pauls en 1959. Est-ce un effet de génération ? Alan Pauls amplifie l’aspect ludique du texte pour l’orienter vers une réflexion métaphysique, historique et politique qui n’est qu’esquissée chez son aîné dont on n’a le sentiment qu’il n’a pu, ou voulu, évoquer les ravages d’une époque qu’à mots couverts, ou les garder à distance par sa maestria. Alan Pauls retient la leçon d’Aira : liberté et audace du texte, tout est permis ! Mais lui regarde davantage la terreur en face, et prend son pays par les cheveux, pour ne pas le lâcher.

Pascal Jourdana

Histoire des cheveux
Alan Pauls
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Serge Mestre
Christian Bourgois, 224 pages, 18

Épopée capillaire Par Pascal Jourdana
Le Matricule des Anges n°117 , octobre 2010.
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