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Domaine étranger Clair-obscur catalan

novembre 2010 | Le Matricule des Anges n°118 | par Serge Airoldi

Disparu en 2009, Baltasar Porcel laisse un roman qui dit tous les antagonismes et toutes les subtilités de la Catalogne à travers le destin de deux héros.

Quelques châteaux et toutes les ombres

Les villes sont invisibles à la raison. Seuls les hasards et les secrets cueillis grâce à la finesse d’une perception parviennent à les attirer dans le monde des matières. Quelques pages du livre de Baltasar Porcel suffisent pour comprendre de quel bloc il s’agit, à quelle machine littéraire nous avons affaire et à quelle urgence l’auteur nous invite dès les trois premières phrases. « Pelai Puig Alosa était pressé. Très. Et il poussait des soupirs. » Quelques châteaux et toutes les ombres appartient à cette lignée de grands romans qui ne cachent pas leur ambition de dire tout un monde, la totalité d’une société en mouvement, le cœur des hommes, leurs noirceurs, leurs calculs, théories, compromis. L’Histoire et ses arrangements et ses ossuaires et ses salauds, ses grands hommes. Les petites histoires et leurs quotidiens et leurs vanités. Et à l’arrivée : la fresque d’un pays d’aujourd’hui, la Catalogne, incarné par la ville de Barcelone ; un pays amoureux de son identité et traversé par des courants parfois complices, souvent contradictoires à l’image de cette scène dans le métro où les fleuves humains se mêlent aux heures de pointe. « Les deux torrents se percutèrent et se mélangèrent, provoquant une secousse générale. Eparpillement au cours duquel un couple âgé fut ballotté, agita les bras désorienté, et fit un tour complet sur lui-même, chacun de son côté ». Une vision fugace d’une Catalogne désorientée, prise à bras le corps par Porcel, qui devient sous sa plume, un champ de bataille livré aux idéologies.
Comme dans la tragédie classique, Porcel choisit l’unité de temps, de lieu et de drame pour planter le décor. L’intrigue politico-immobilière se passe entre le 30 avril (veille du 1er mai) et le 2 mai. Et pour faire le tissu de son histoire, il invente deux personnages radicalement opposés. D’un côté, Pelai Puig Alosa, l’homme pressé, un militant socialiste aux épaules étroites, homme bourru mais généreux. De l’autre, Ginès Jordi Martigalà, sexagénaire tout-puissant, amateur d’art, patron de la Société hispano-catalane de Construction, fils d’un grand serviteur du franquisme. Ces deux trajectoires traversent le roman. Avec elles, Porcel décrypte toute l’histoire de la Catalogne depuis la guerre civile jusqu’aux effondrements dont le groupe de BTP de Martigalà est rendu responsable dans une zone populaire.
Roman très expressif, nerveux, le texte de Porcel est celui de la synthèse. L’histoire de la famille de Martigalà révèle tous les arrangements de la bourgeoisie avec le franquisme. Les « quelques châteaux » sont ceux de l’Algar dans le delta de l’Ebre et celui des Dragons dans le quartier barcelonais Pedralbes convoités et acquis par les Martigalà père et fils. Les ombres sont tout le reste. Ce gris est celui des ambiguïtés, des relations avec le régime franquiste, le positionnement des nationalistes partagés entre radicalité et pragmatisme, le choix du socialisme de Pelai, « peut-être par peur » en tout cas par idéalisme. Un idéalisme complètement à contre-courant d’une société qui a enterré Franco, qui a ensuite connu un boom économique, et qui subit aujourd’hui la récession. C’est désormais le temps où les édifices s’effondrent. C’est le temps du labyrinthe où plus personne n’est en mesure de donner du sens et d’en recevoir.
Porcel réussit ce tour de force de faire œuvre littéraire tout en posant sur le papier des mots et des analyses de politologue, de sociologue, de grand reporter et en acceptant le risque d’écrire le monde du temps présent, ce qui est le meilleur moyen de se cogner au mur par manque de recul. Au contraire, creusant dans les mémoires, fouillant dans les abysses du présent, Porcel donne une visibilité ; il livre un texte de référence à Barcelone. Il construit un magnifique château et dissipe les ombres.

Serge Airoldi

Quelques châteaux et toutes les ombres
Baltasar Porcel
Traduit du catalan par Juan Vila
Préface d’Emili Rosales
Actes Sud, 368 pages, 23,80

Clair-obscur catalan Par Serge Airoldi
Le Matricule des Anges n°118 , novembre 2010.
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