Le roman s’ouvre et se clôt sur Karoline : elle est en quelque sorte le pivot central du texte, par sa beauté, son éclat, et la grande fête donnée pour ses cinquante ans. Elle a la parole dans les dernières pages, où elle dresse un bilan tranquillement désenchanté de son existence, concentrée en quelque sorte durant son anniversaire, « Faire quelque chose pour les autres. Faire quelque chose de bien. Juste ça : faire le bien. Car faire le bien, ça ne m’est jamais arrivé. Et c’est ça que j’aurais dû faire. (…) Pendant mon anniversaire, je me disais : voila tout ce que j’ai accompli pendant cinquante ans. Ici sont réunis ceux que j’aime. Ici se trouve mon capital humain. A cet égard j’ai sous les yeux l’œuvre de ma vie. Voilà, c’est ça et ce n’est pas autre chose. » Autour de Karoline des dizaines de voix s’élèvent les unes après les autres, hommes et femmes qui racontent des bribes de leurs vies : amours confuses, sexualité souvent excitante, mais rapide ou de pure consommation, enfants, maris, amants, insatisfaction quasi permanente…
En nous faisant pénétrer la conscience de ces êtres, Trude Marstein dresse le portrait sans fard d’une société occidentale, un condensé de comédie humaine contemporaine. Les points de vue se succèdent et l’enchaînement peut donner le vertige – ou lasser. Il y a de l’exercice de style, de la performance, dans ces portraits en série. La langue en est pragmatique, souvent familière, proche de l’oralité. Les morceaux de dialogues sont introduits rapidement et presque cavalièrement, comme si Trude Marstein tenait surtout au contenu, déversé dans sa version inexpurgée, brute. Leur succèdent souvent des fragments de monologues intérieurs, où l’individu apparaît dans sa crudité et sa relative monotonie : envies, frustrations, sentiments, malveillance, tout dans ces têtes semble mis au même niveau. Progressivement, le parti pris de cette centaine de points de vue prend son sens, et acquiert une dimension quasi moraliste : la répétition et les – pas très importantes – variantes de ces individualités dessinent une humanité peu fascinante, toute à ses égoïsmes et à ses enfermements, une modernité sans grandeur et sans sublime.
Delphine Descaves
Faire le bien
Trude Marstein
Traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud,
Stock, 563 pages, 24 €
Domaine étranger Faire le bien
novembre 2010 | Le Matricule des Anges n°118
| par
Delphine Descaves
Un livre
Le Matricule des Anges n°118
, novembre 2010.