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Vu à la télévision Voix in voix off

mars 2011 | Le Matricule des Anges n°121 | par François Salvaing

Obligé ! Timothée avait essayé de regarder À la recherche du temps perdu. Il avait de l’estime pour Nina Companeez, qui avait accompagné, au scénario, les charmants premiers films de Michel Deville avant de devenir elle-même réalisatrice, principalement de télévision. Suave élégance de ses récits qui échappaient à l’inanité, qu’ils frôlaient parfois, par leur cruauté légère, leur espiègle nostalgie. Et puis, très vite, Timothée avait jeté l’éponge devant cette nouvelle tentative de saisir l’insaisissable. Mais peut-être avec celle-ci, succédant à celles, très diverses, de Volker Schlöndorff, Raoul Ruiz et Chantal Akerman, avait-il mieux compris l’impossibilité de la tâche.

Bien sûr, on ne fait pas entrer un océan romanesque dans la cruche d’un film, serait-il feuilletonesque. Mais avec À la recherche… il y avait pire. Bien que situé et daté, l’univers proustien excède les catégories de l’histoire ou/et de la sociologie. Or, fatalement, l’image fige et corrompt ce qui, dans une langue aussi fluide et annelée, se décompose et recompose sans cesse. À l’image, tout, un chapeau, une voilette, un train, un hall d’hôtel, une madeleine… devient par trop précis, et sous l’étroitesse de cette précision se dissolvent les méandres de la pensée et du rêve qui, tout au long du texte, emportent de leurs enchantements le lecteur de Proust. Et, si séduisants que soient les acteurs, ils ne peuvent qu’échouer à restituer les figures qui dorment en nous, impalpables et immenses, de Charlus, de Saint-Loup, de Françoise ou de Mme de Guermantes, et même, sur l’instant, ils les menacent. (Encore qu’avec le temps la mémoire de Timothée admettra peut-être que l’interprétation de Dominique Blanc a enrichi de son alto le scintillement en elle du personnage de Madame Verdurin.)

Mais le plus profond des contresens, dans le travail de Nina Companeez, vient du plus respectueux de sa démarche. Soucieuse sans doute d’emmener le public le plus vaste vers la prose la plus somptueuse, elle soutient son récit d’une voix off omniprésente, dont le texte, bien entendu, est tissé d’emprunts à celui du narrateur de l’œuvre. Or, voici : quand nous lisons À la recherche…, la voix du narrateur, dès l’incipit, entre en nous, devient la respiration même de notre lecture et nous demeure inaudible, intime – au sens strict une voix in. Radicalement le contraire.

À quelques jours de là, de tout autres voix. Celles, à la mécanique familière, que Timothée avait au bout du fil de temps à autre. Depuis Marrakech ou Tunis parfois, on lui proposait une cuisine intégrée ou du double vitrage, ou, s’il avait quelques instants, de répondre à un sondage sur ce qu’il attendait d’une machine à laver, d’une automobile ou de sa banque. Avait-il eu affaire à l’une de celles dont un documentaire (Orange amère sur France 2) lui rapportait les affres, suicidés ou survivants de France Télécom ? Plus d’une fois, il avait eu droit à Bonjour et bienvenue chez France Télécom ou À bientôt chez Orange. Peut-être même à la voix de Jean-Paul, employé, entré à ce qui s’appelait les PTT trente ans plus tôt, technicien mué en commercial, et qui, en se jetant dans le vide depuis un viaduc le 28 septembre 2009, avait forcé l’attention sur ce qu’étaient devenus l’entreprise et son travail.

Patricia Bodet et Bernard Debord ont essayé de comprendre à la fois pourquoi tant de suicides chez France Télécom et si, depuis 2009, le management tant décrié, pathogène, avait changé. Ils sont retournés dans la région Rhône-Alpes, ont rencontré les anciens collègues de Jean-Pierre, agence des Glaisins. Ils ont assisté à des réunions assez tendues et à d’autres qui se voulaient conviviales, avec lotos et sangria.

Le PDG a changé. Didier Lombard, qui après 35 suicides, avait parlé d’une mode a été remplacé par Stéphane Richard qui évoque un nouveau contrat social. Un an après, un syndicaliste de Sud veut bien le croire très engagé vers cet objectif, mais le trouve très isolé. La hiérarchie ne suivrait pas. Et à la base, sous toutes sortes de formes, rieuses comme lasses, s’exprime le scepticisme. Encore 25 suicides en 2010. Pourquoi ? La plupart des anciens ont vu leur métier changer, se rabougrir et se dévaloriser, le public au service duquel ils travaillaient, est devenu la clientèle, et les véritables juges de leur travail, au-delà du chef de service ou du PDG, sont les actionnaires, qui réclament, est-il dit, chaque année 40 à 45 % de la trésorerie disponible. Timothée doit déplorer, une fois de plus, que sur une entreprise, l’investigation s’arrête aux salariés, et ne force jamais la porte et l’anonymat de ces fameux actionnaires… C’est sous leur pression, pourtant, que se déterminent les conditions de travail, le temps à consacrer à chaque appel, le chiffre à réaliser, collectivement et individuellement… La sociologue Danièle Linhart invite à desserrer le carcan. La présentatrice Carole Gaessler, niaiserie ou veulerie, clôt l’affaire en appelant à retrouver la confiance, comme disait Stéphane Richard.

À un moment, une salariée avait expliqué qu’au cas où elle éprouverait par trop cette impression d’être un robot, il lui est recommandé d’avoir recours au Centre des Ressources humaines. Mais elle note, désabusée, que c’est comme nous, un centre d’appel. De voix sans corps. Off la vie.

Voix in voix off Par François Salvaing
Le Matricule des Anges n°121 , mars 2011.
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