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Domaine français L’art de la fugue

mars 2011 | Le Matricule des Anges n°121 | par Richard Blin

En associant le lecteur à ses pensées, mêlant le proche au lointain, le nouveau livre de Gérard Macé émeut, surprend.

Pensées simples

Déchiffrer des signes, conjuguer la netteté du détail au flou de l’infini, dépasser l’ordre purement sensible des choses, c’est ce à quoi l’œuvre de Gérard Macé ne cesse de se vouer. Une œuvre qui se décline sous la forme du poème en prose, de l’essai, de la photographie et aujourd’hui d’un ensemble de pensées simples, qui se dévore comme un roman.
Avec ce livre s’inaugure une singulière façon de saisir une totalité par petits morceaux. Composé de pensées qui s’ensuivent et se lient non comme les chaînons d’une chaîne mais comme les sons en musique, le livre est fait de fragments, d’alinéas – appariés ou contrastants – qui montrent comment la pensée se fait. On voit le mouvement de court-circuit qui la produit ou dont elle procède, et qui relève d’une pensée bien différente de celle des raisonneurs qui vont de preuve en preuve, alors qu’ici elle obéit à la logique de l’analogie autant qu’aux liens subtils de l’harmonie poétique, telle que la rêvait Joubert pour ses propres Pensées : « Je voudrais que les pensées se succédassent dans un livre comme les astres dans le ciel, avec ordre, avec harmonie, mais à l’aise et à intervalles, sans se toucher, sans se confondre ; et non pas pourtant sans se suivre, sans s’accorder, sans s’assortir. »

Décoder les apparences.

Un livre dont la forme fragmentaire traduit la discontinuité de l’opération de penser, mais permet aussi au narrateur de renouveler sans cesse sa posture, de varier ses attaques, d’aborder tous les thèmes. C’est le monde que Gérard Macé regarde, les mœurs, les hommes, la société. événements ou choses lues ou vues, qu’il éclaire d’une autre lumière. Qu’il s’agisse du vêtement, de la nourriture, du rôle des fleurs dans l’histoire de la pensée, du Douanier Rousseau – « qui a les mêmes goûts frelatés que Rimbaud dont il exécute le programme comme s’il l’avait lu ou deviné : “Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et je trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie moderne. J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires…” » – ou qu’il s’agisse de l’éloge de l’excès chez Balzac ou Baudelaire, du portrait qui se met à vivre, du rapport qui peut exister entre le manteau de la Vierge, un intérieur hollandais et la cavalerie américaine, ou encore du réchauffement climatique – dont les prédictions « reprennent sans toujours le savoir (mais avec les apparences de l’objectivité) le mythe de l’Atlantide et la crainte du déluge – ce qui ne veut pas dire que la crainte est sans fondement, mais que les mythes sont une forme de la vérité » – c’est la réalité qui est passée au crible, ce sont les apparences qui sont décodées. Une façon de rendre visibles les choses invisibles, qui passe par une extrême attention aux mots, aux souvenirs, à la mémoire, à la langue, elle-même chargée de mémoire, à l’image toujours plus complexe et subtile que ce que l’œil voit dans le viseur, « parce que l’appareil enregistre la vie de l’esprit en même temps que le réel, et parce qu’une image digne de ce nom continue de se développer mentalement ».
Des pensées marquées du sceau d’une sagesse tirée des très nombreux voyages de l’auteur (« Voyager consiste à plonger un corps dans un autre milieu, un autre climat, une autre température, à lui faire éprouver d’autres sensations, de telle sorte que l’esprit à son tour change d’optique et d’atmosphère. ») en Extrême-Orient, en Asie, en Afrique, ce continent méconnu dont il voudrait qu’il trouve enfin sa place dans la vie de l’esprit, « une place qui devrait être éminente dès qu’on se penche sur les pouvoirs de l’image, les pratiques du sacré, les rapports du visible et de l’invisible. » Mais des pensées qui sont surtout des effets ou des retombées de lecture, construites avec des souvenirs et des citations : Michaux, Ronsard, Du Bellay, Poe, Rousseau, Lewis Carroll, Borges, Proust – dont la grandeur est « d’avoir fait de ses empêchements, de ses phobies, de ses allergies et de sa crainte du contact (jusqu’à éviter de respirer les fleurs, ou faire désinfecter son courrier) un moyen de connaissance », là où Céline, lui aussi obsédé par le souci de l’hygiène et la crainte de la contagion, « est vite passé à la haine et au désir d’extermination ».
Pensées simples construites aussi avec « des poignées de neige », « des fétus de paille et de la cendre », ou encore nées du plaisir de la rêverie se métamorphosant en jouissance de l’écriture. Car Gérard Macé écrit « contre les pères ornés de majuscules, les dieux qui sèment la terreur, les rois qui font si bien en littérature ». Il aime le plaisir subtil du léger décalage – « Si les mots se contentaient de désigner les choses, il n’y aurait pas de poésie. » –, la savante dissymétrie qui n’empêche pas l’équilibre « grâce à la liberté qui s’appuie sur la tradition, mais se passe du cordeau et du compas ». Un art du dépouillement qui saisit d’emblée l’intérêt du lecteur, et qui est aussi un art de vivre.

Richard Blin

Pensées simples
Gérard Macé
Gallimard, 238 pages, 17,90

L’art de la fugue Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°121 , mars 2011.
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