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Des plans sur la moquette Se faire voir ailleurs

avril 2011 | Le Matricule des Anges n°122 | par Jacques Serena

C’est Koltès, je crois, qui disait qu’une famille désunie c’était triste mais qu’il y avait pire : les familles unies. Il le disait sans rire, je pense, en tout cas, moi, je le crois sans peine. Pourquoi est-ce que je remets ça sur le tapis. Sans doute rapport au fait que m’est encore tombé dessus le besoin de bouger. Partir, peu importe où, histoire d’être ailleurs, d’aller voir ailleurs si on y est, comment on pourra y être. Pour un comme moi, à tout bout de champ invité à venir se faire voir ici ou là, il n’y a même pas à prendre l’initiative, suffit au premier appel de dire ok, j’arrive. Invité à tout bout de champ, dis-je, attention : je ne suis pas en train de me vanter, du reste il n’y aurait pas de quoi. Parce que ce n’est pas comme si c’était parce que je serais du genre plus désiré qu’un autre, non, loin de là. Ce serait plutôt parce que je suis du genre plus disponible, et moins difficile, et ça se sait. J’ai dans l’idée qu’il doit avoir, en ce bas monde, peu de types aussi peu difficiles que moi. Bref, ce soir-là, c’est encore autre part que je me vois débarquer. Accueilli par une Sophie, qui me conduit jusqu’à la chambre qu’on me réserve. Et une fois là, elle m’explique ce qu’on attend de mon séjour. Un texte sur l’exil, dit-elle, inquiète de savoir si ce thème m’inspire. Alors moi, face à elle dans cette chambre, m’arrive un de ces moments comme nous en tombent dessus sans prévenir dans ces cas-là, avec le dépaysement, la fatigue du voyage : un laps de vie où on ne sait plus trop où on est, pourquoi, qui donc se le demande. Et je m’entends répondre oui, l’exil, oh oui. Sur quoi j’embraye, sans retenue, m’étale, il faut dire aussi que c’est une Sophie qui écoute, regarde, qui n’a pas cet air qu’elles ont toujours avec moi, d’avoir autre chose d’urgent à aller faire ailleurs.
Dans le Var, m’entends-je lui dire, famille nombreuse, apathique, bien varoise. Père abruti de fatigue, mère dépressive, les faitouts volent bas, flopée de gosses, besoin de se délester. On m’expédie chez des sortes d’oncles au fin fond de l’Auvergne. Oncles et cousines, sauvages, farouches. La question, enfin, une des questions, c’est pourquoi moi. Je ne suis ni l’aîné ni le dernier, ne suis rien spécialement, et ne fais trop rien, je fais nombre. Mais c’est une question qui ne se pose pas, à personne, c’est une sorte d’évidence, au fond, si quelqu’un est de trop, c’est évidemment moi. Rien d’étonnant, mais je ne m’étonne trop de rien, en ces temps. Ne me surprends pas non plus outre mesure, lors de mes sporadiques retours dans le Var, le fait que je n’ai pas la même allure que mes parents, frères, sœurs. Eux ont tous la même tête, les mêmes corps épais, la même apathie. Alors que me voilà efflanqué, vif. Ça se passe sur quatre ans, mes va-et-vient d’un monde à l’autre. à une époque où les régions communiquent mal, peu de consensus national, de version officielle du monde. La vie dans le Var et la vie au fond de l’Auvergne n’ont que peu à voir. Autres mots, autres mœurs, croyances. Spontanément, il y a vite le moi d’ici et le moi de là-bas. Petit dénominateur commun, sans doute, mais surtout grandes disparités. Dans le Var, je file doux, suis le mouvement, c’est-à-dire, la plupart du temps, l’absence de mouvement. Jours ni malheureux ni heureux, impression de limbes, d’attente. Petit fond d’inquiétude, mais vague, diffus. Jamais trop sûr de n’avoir pas commis de crime, mais quoi, quand. En Auvergne, c’est clair, contrasté, tout peut arriver, cousines à vélo, chutes, ruisseaux, larmes, rires et cris portent loin par-dessus les herbes et les barrières.
C’est longtemps après que l’idée vient que cet exil répété a été une chance. Cette non appropriation de soi par les uns, ni trop par les autres. Qui a évité qu’on se cristallise, fossilise, se prenne pour ce qu’on disait ici ou faisait là-bas. Qui a obligé à une souplesse, compréhension et réadaptation instantanée d’un lieu à l’autre. Les vérités de là-bas étaient les âneries d’ici. Etre sage ici, c’était être crétin là-bas. Ne pas se laisser aller, attention, boire du vin là-bas est acclamé, puni ici. On ne rit pas avec ça, nous dit-on. Ça dépend où, se dit-on. Et donc, se couler rondement dans celui qu’on est là-bas, puis dans celui qu’on est ici. Avec, forcément, du mal à s’y croire. Ce bénéfice du doute. Ne se sentir ni varois ni auvergnat, ni rien, déjà ça, à l’abri de ces vanités de lourds. Pas de fierté d’être ci ou ça, et d’ailleurs pas spécialement de fierté, j’allais dire mal placée, comme si on pouvait la placer bien. Bien sûr, inhérents, les dommages collatéraux. Où est-on le plus vrai, quand. Difficile de se prendre pour soi. Le recul chronique de quand on se voit bouger, s’entend parler. Gênant pour bien se passionner pour le film. Même avec les bibliothécaires, même en situation idéale, temps et heure, le manque soudain de conviction, de sens du drame, même avec l’inespérée nous ramenant à l’hôtel après la lecture, quand bien même elle susurrerait que cette rencontre fut à ses yeux belle et lumineuse. Aussitôt on verrait notre gueule enfarinée en train de se faire dire ça et fatalement on sentirait monter en nous le rire.
Sans doute vrai que, comme on l’a lu, la mobilité des repères ébranle le sentiment de sécurité et de permanence du réel, que se construire solidement se fait dans un univers et un langage fixes, dans un sentiment de continuité et d’identité propre aux individus, familles et populations. Qu’un environnement stable a un effet structurant, et un environnement changeant un effet déstructurant. Mais, moi, là, aujourd’hui, je me dis que, tout bien pesé. Quand je retombe, de loin en loin, sur mes lourds de frères et sœurs qui n’ont jamais bougé du Var.
Voilà, en gros, ce que je me suis entendu débiter tout de go à cette Sophie dans cette chambre d’autre part. Et comme elle est restée jusqu’au bout, je me suis dit que, si ça se trouvait, ça avait quelque intérêt.

Se faire voir ailleurs Par Jacques Serena
Le Matricule des Anges n°122 , avril 2011.
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