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Égarés, oubliés Le baroudeur déçu

mai 2012 | Le Matricule des Anges n°133 | par Éric Dussert

Aventurier, lettriste, révolutionnaire et tenancier de bordel, Jean-Louis Brau a dit combien il aimait boire, baiser, lire et fumer. Avec des mots.

Le Singe appliqué

On connaît peu de récits aussi voyous, attractifs et échevelés que Le Singe appliqué de Jean-Louis Brau. Peut-être peut-on associer à ce descendant de Blaise Cendrars Les Pue-la-mort de Renzo Bianchini (Balland, 1971), ou, dans une moindre mesure La Morue de Brixton de l’artiste faux-monnayeur T.-S. Bogousslavski (Arléa, 1998). Tous trois ont la démesure et le style qui dénoncent l’Homme libre, celui qui toujours angoisse la société, et en désespère plus encore.
Le portrait que Brau trace de lui-même est celui d’un enfant bien éduqué aux manières brutales, d’un incontrôlable natif de Saint-Ouen (1930), grandi à Aubervilliers, artiste d’abord, combattant ensuite, fuyant la civilisation européenne et refusant instinctivement de s’y désintégrer. Il n’aura trouvé de charme à la vie urbaine que ses bars, leurs inventeurs de rêve ou leurs marchands d’illusions. Pour le reste, l’adrénaline, l’odeur de la poudre et du pavot ont fait l’affaire.
Actif dès 1949, date à laquelle il fonde la revue Transit, Jean-Louis Brau est un membre de l’avant-garde germanopratine. Il fait de la figuration avec Gabriel Pomerand dans Orphée. On le retrouve aux côtés de Gil J. Wolman, de François Dufrêne et d’Isou parmi les premiers lettristes. Et parce qu’il a assisté au récital d’Artaud retour de Rodez au Théâtre du Vieux-Colombier à l’âge de 17 ans, il se passionne pour l’instrumentation verbale, déclamant au Tabou ou ailleurs ses créations comme ses confrères. Il entame un film qu’il ne finira jamais, La Barque de la vie courante, participe aux revues Ur et Front de la jeunesse et fonde avec Wolman, Berna et Debord, autres « argonautes de chez Moineau », une Internationale lettriste qui préfigure l’Internationale situationniste, groupe dont il est exclu pour « déviation militariste ». Prompt à défourailler, il a naturellement opté pour les godillots – ces bottes auxquelles il rend un vibrant hommage. Brau se bat en Indochine, devient patron du bordel des Cent Fleurs, trafique l’opium avec Vo le pilleur de jonques, tiraille, bref, il participe en 1955 à la pétaudière de Saïgon. En 1956, il s’engage en Algérie et rentre à Paris deux ans plus tard. Fini le baroud.
Jean-Louis Brau reprend du service auprès des avant-gardes et publie dès 1959 son manifeste Ptotel’asymptotel’asymptotel : la méthode et ce qui ne l’est pas ! sous forme d’un placard. Il peint (la galerie 1900-2000 a donné une rétrospective de son œuvre en 1997), fait des collages, retrouve ses acolytes, la « filiation des ensorcelés », Spacagna, Wolman, Villeglé et les inévitables lettristes avec lesquelles il mène à l’occasion des actions puis, s’éloignant des lassants Isou et Lemaître, fonde avec Wolman et Dufrêne une dissidente Deuxième Internationale Lettriste. Sa créativité explose les cadres, réussit de remarqués transferts sur toile (1963-1966), mixe les phonèmes et le pop art, écrit une Suite algérienne, une Cantate pour l’interdiction de Mandrake, fonde la revue A avec Wolman et conçoit un roman « métagraphique », No more, qui préfigure son Voyage de Beryl Marquees (Eric Losfeld, 1968), fruit des années où il vit à Londres, roman-photo d’un voyage sous lsd avec des images de Claude Palmer et une mise en page de Maurice Mathonnière. Beat, pop, pré-punk ? « Et je nageais en plein ambiguïté, un océan de confusion, pris pour un musicien lorsque j’enregistrais un disque de poèmes, pour un peintre lorsque j’exposais un collage, et accroché dans des musées comme les papillons dans la salle d’entomologie du Muséum. »
Que faire ? Au-delà de l’insatisfaction, il reste à Brau la révolution et les bottes de combat au fond du placard. Mais il faut manger… Jean-Louis Brau devient un singe savant de l’édition. Souvent le ticket de métro représente une dépense excessive, il faut marcher… Alors les livres se succèdent que l’on trouve aisément dans les vide-greniers. Il donne l’un des tout premiers livres sur Mai 68, Cours camarade, le vieux monde est derrière toi ! (Albin Michel, 1968) puis un Petit Livre rouge de la violence révolutionnaire, une anthologie de citations parue chez Debresse en 1969. Puis ce sont Les Mauvais lieux de Londres (Balland), Les Armes de la guérilla (Balland, 1972). N’oublions pas son Antonin Artaud de 1971 (La Table ronde, 1971) et sa très riche Histoire de la drogue (Tchou, 1972), son autre grand livre, où figurent « tous les produits naturels ou synthétiques auxquels les hommes ont recours pour dominer leur angoisse, tromper leur faim, trouver Dieu ».
Passons sur la production mercenaire (Comment être bien dans sa peau, Le Guide du bricoleur, Les Initiés d’Occident)… Il l’explique dans Le Singe appliqué, derrière toutes ces pages, il y a un autre grand projet de dégoût synthétique : L’Homme dépotoir, essai de définition de l’homo absorbans, « inventaire de tout ce qui entre dans le corps humain ou le transforme, tant pour sa subsistance que pour sa santé, son plaisir ou la satisfaction de ses passions ». Depuis les produits alimentaires jusqu’aux produits de beauté en passant par l’ascèse.
Quoi qu’il en soit, il n’a pas eu le temps. Disparu en 1985 à Paris au terme d’une vie de bagarres, de baises et de barouds, Jean-Louis Brau avait publié en 1972 ce Singe appliqué (Grasset). Y figure sa propre épitaphe : « Jean-Louis, prince des Cent Fleurs, comte de Kuen Toung, baron de Dak Doa, seigneur de Saint-Ouen, des Vertus, Heumis et autres lieux, il buvait fort et sans soif, aimait et combattait de même, fidèle en cela à ses ancêtres, vassaux de Jaime Ier, roi de Majorque et de la parentèle des ducs de Septimanies, le monde tel qu’il est lui ayant déplu, il entreprit de le changer. »

Éric Dussert

Le Singe appliqué
Jean-Louis Brau
Le Dilettante, 543 pages, 25

Le baroudeur déçu Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°133 , mai 2012.
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