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Théâtre Au bar des ombres

octobre 2012 | Le Matricule des Anges n°137 | par Patrick Gay Bellile

Dramaturge et metteur en scène, Lancelot Hamelin travaille au cœur la guerre d’Algérie. Quand le passé ne passe pas.

Ici, ici, ici - Suivi de Journal de Charbon

Dans une petite ville du Jura, Alta Villa, « station climatique, cures et réadaptation », un vieil homme tient le bar de l’hôtel, réfugié derrière son comptoir d’où il offre des tournées à une rare clientèle. Un vieil homme réfugié de son passé : les années 50-60, la guerre d’Algérie, les pieds-noirs, le FLN, de Gaulle, l’indépendance, et puis, l’OAS, les attentats, les règlements de comptes, les assassinats « …Au fond de la cave / Coups de tuyaux de plomb / Les yeux sortis / Force de coups / Contre le mur… » Un homme hanté par un passé qui ne passe pas. Très vite le lecteur sait que notre barman était du mauvais côté de l’histoire. Gardien de la paix pendant les événements, comme on disait alors, proche de l’OAS, l’homme a fait son métier, son devoir. De retour en France en 1956, suite à une mutation, il poursuit ce métier en France où il faut s’occuper de ces Arabes qui « même quand ils n’étaient pas actifs, ils étaient – ils cotisaient toujours – pour les fells ». Et puis il atterrit dans cet hôtel où nous le trouvons au début de la pièce, ressassant sa vie avec le sentiment d’avoir fait partie de l’histoire sans le savoir vraiment, sans la comprendre tout à fait.
Lancelot Hamelin n’écrit pas une pièce politique. Il traque l’intime dans l’histoire, ou plutôt comment l’intime construit l’histoire. Il le dit lui-même : « le texte sert à saisir du réel, à l’inscrire dans une vision particulière, la mienne et celle de ma culture, de ma langue – afin d’élaborer une machine qui puisse donner lieu à du théâtre : le texte. Loin de moi l’idée du texte-partition, ou du texte-scénario. Je conçois le texte comme un baquet de glaçons avec des bouts de réel amputé dedans – à faire revivre… »

« Comme un baquet de glaçons ».

Ce qui est à l’œuvre chez le vieil homme, c’est le travail, la rumination, l’impossible digestion de ce passé qui va jusqu’à modifier la parole, la façon de parler, la façon même de penser. « J’ai du mal à parler / Jamais je – Ou bien dans ma tête je – je ne vois pas pourquoi – Je dirais – se comprendre / On a besoin mais si peu. » La langue n’est pas toujours claire, facile, mais les idées ne le sont pas non plus. Les mots ont du mal à sortir, un par un parfois. La vie privée, la petite histoire, est sans cesse bousculée par la grande, par les dates, par cet enchaînement qui au bout du compte construit l’Histoire, la grande. Par cette mauvaise conscience qui s’exprime à tous moments et qui est celle d’un pays tout entier face à son passé colonial. Au comptoir, Kader écoute : « Vous l’avez bien cherchée / L’Indépendance / T’es avancé à quoi, Kader, hein ? / Le bled aujourd’hui c’est encore moins chez toi que quand c’était français ». Alain, l’ancien légionnaire, écoute aussi. Ils écoutent la vie de cet homme, de ce pays d’Oran, de ce temps-là, de ceux qu’il a connus, de sa famille : Judith, sa femme, qui aimait tellement les fleurs, Paul son frère, l’éternel rival, Frank et Emmanuel, ses enfants, et puis Karim, le serveur, tous ces personnages dont Lancelot Hamelin nous a déjà conté l’histoire dans une pièce précédente : Alta Villa contrepoint (Théâtre ouvert), et dans un premier roman qui vient de paraître, Le Couvre-feu d’octobre (L’Arpenteur). Une famille de pieds-noirs.
La première phrase du texte annonce la couleur : « Ce que je ne me suis jamais dit ». Le vieil homme parle, se parle, pour essayer de comprendre : « J’ai fait trop le mal / Et le mal est ce dont je suis fait / Mon argile je suis né / De la semence dont / on fait les / SS. » Il offre des tournées, des tournées de momies, des tournées de souvenirs, les unes peut-être pour noyer les autres. Et le cœur s’emballe quand Karim lui demande : « Vous avez connu mon père ? Mon père connaissait quelqu’un qui portait votre nom ? » Car Karim a répondu à l’offre d’emploi avec une idée bien précise. « Mon père connaissait quelqu’un qui portait votre nom ». Quelqu’un qui a trahi les siens, vendu les fells, quelqu’un qui aujourd’hui compte sur la digitale pour calmer ce cœur qui n’oublie pas. Et le passé de nouveau s’agite, frémit, les mots se troublent et le patron offre des tournées. L’homme du bar de l’hôtel d’Alta Villa va mourir, par épuisement de ses derniers mots, n’ayant pas dit ce qu’il aurait dû dire, n’ayant pas compris sa vie.
À la suite de ce texte, Lancelot Hamelin publie un extrait du Journal de Charbon, le journal tenu par Karim, le serveur du bar, fils d’un père algérien, venu en France pour travailler dans les mines, et d’une mère française. Karim, aux confins des deux mondes, veut comprendre cette histoire commencée en 1830 avec la conquête de l’Algérie par les Français « sous le prétexte que les pirates barbaresques nuisaient au commerce méditerranéen ». Et cette histoire court jusqu’à nos jours, jusqu’aux guerres d’Irak et de Bosnie. Lancelot Hamelin dit : « C’est peut-être mon idée de l’écriture : dire les lieux. Travailler sur les lieux dits. » Il semble bien que l’Algérie soit l’un d’eux.

Patrick Gay-Bellile

Ici, Ici, Ici suivi de Journal de Charbon
Lancelot Hamelin
Quartett, 112 pages, 12

Au bar des ombres Par Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°137 , octobre 2012.
LMDA papier n°137
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