Qu’un auteur puisse aujourd’hui consacrer plus de 600 pages à un texte dédié à un chagrin d’amour, cela peut étonner et même inquiéter. Mais la crainte de découvrir un récit truffé de longueurs est vite dissipée à la lecture de La Première Défaite. Cette déambulation littéraire d’un jeune homme oscillant entre la tentation de s’abandonner à une errance désespérée et l’effort de trouver les ressorts qui l’aideraient à surmonter son épreuve, est captivante. Elle présente un côté fascinant qui s’explique en grande partie par la fidélité absolue de ce jeune homme, qui n’est autre que Santiago H. Amigorena lui-même, à une « absence » qui devient le sens même de sa vie.
Le Premier Amour (P.O.L, 2004) nous avait fait découvrir Philippine qu’il rencontre alors qu’il est encore lycéen. La Première Défaite est le récit des cinq années qui suivent la rupture du couple. Philippine y acquiert une dimension mythique, celle d’un temps qui s’était arrêté pour l’auteur : « Je l’ai aimée dans un temps sans temps ». Mais il lui faut désormais vivre sans elle dans un temps qui a perdu toute saveur.
Il habite l’île Saint-Louis, il flâne, arpente les quais sombres de la Seine, qu’il traverse et retraverse. Il arrive que des filles lui sourient. Mais surtout il écrit, il survit avec les mots, grâce aux mots qui l’aident à affronter l’absence et la peur de l’oubli : « Mes mots déferlent sur mes oublis et les submergent telles des ondes furieuses, puis se retirent, moutonnant et murmurant leurs impuissants murmures ». Ce lecteur passionné de Proust et de Joyce fait de nombreuses escapades : Italie, Argentine, Uruguay, Angleterre. Mais partout il se sent en exil. L’écriture est sa seule demeure dans laquelle il « s’abîme », « s’immole » et parfois se recrée. Envoûtante demeure que Philippine ne cesse d’éclairer de sa « suicidante incandescence ».
Yves Le Gall
La Première défaite
Santiago H. Amigorena
P.O.L, 638 pages, 25 €
Domaine français La Première défaite
octobre 2012 | Le Matricule des Anges n°137
| par
Yves Le Gall
Un livre
Par
Yves Le Gall
Le Matricule des Anges n°137
, octobre 2012.