Raconté et commenté depuis l’au-delà par l’un des protagonistes, le suicide d’une famille de quatre personnes provoque un malaise salutaire. Philippe Cohen-Gillet, parti d’un fait divers, donne en effet la parole au fils des pendus et pose un premier paradoxe : ce récit d’outre-tombe devrait permettre d’accéder à l’explication du geste. Or, il n’en est rien. L’auteur évite le piège d’un récit simpliste qui remonterait le fil du temps, trouverait quelques raisons de désespérer et justifierait à rebours la mort programmée. Sa démarche illustre pleinement la citation mise en exergue du livre : « La fatigue fouillait dans le tout-à-l’égout de la mémoire et rejetait à la surface des bribes de bonheur. » L’extrait est tiré de Clair de femme, de Romain Gary (suicidé en 1980). Pas de démonstration donc, mais une illustration : le tableau de la vie quotidienne d’une cellule familiale qui ronronne sur fond de crise économique. Le père est poussé un peu trop tôt vers la retraite, la fille doit renoncer à son emploi dans une auto-école, le fils vivote comme magasinier dans un discount, la mère, anxieuse, tente de maintenir le lien qui unit chaque membre du clan. Dramatique ? Lors des repas, plane il est vrai une incompréhension foncière. Comme si chacun, séparément, se dirigeait vers l’inéluctable : « Les rôles étaient bien répartis et les effets de surprises limités. Ça nous rassurait je crois. » Avec un humour grinçant et un détachement permanent, l’écrivain nous confronte à l’incompréhensible. Le gendarme qu’il met en scène, rationnel jusqu’à la caricature, enquête sur la scène de crime. Il traque un scénario logique et passe évidemment à côté de l’essentiel. Reste de ces confidences une impression de lassitude face à l’époque, une fatigue de l’âme qui se retrouve même dans la langue : « J’avais toujours trouvé un chouïa paradoxal que « tomber amoureux » soit censé « donner des ailes ». On se casse la gueule ou on s’envole, il faut choisir ! ». Les quatre ont choisi.
Franck Mannoni
Haut et court
Philippe Cohen-Gillet
Le Dilettante, 253 pages, 17 €
Domaine français Haut et court
octobre 2012 | Le Matricule des Anges n°137
| par
Franck Mannoni
Un livre
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°137
, octobre 2012.