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Traduction Delphine Valentin

octobre 2012 | Le Matricule des Anges n°137

L’Histoire d’Horacio de Tomás González

L' Histoire d’Horacio

Curieusement, c’est d’abord par l’écrivain suisse Peter Stamm que j’ai entendu parler de Tomás González. Il avait lu son premier livre, Au commencement était la mer, traduit en allemand et me l’avait conseillé. Connaissant l’univers et les goûts de Peter, cela a bien sûr éveillé ma curiosité. Dans ce premier roman, Tomás González raconte l’histoire d’un couple de Medellín qui décide de fuir la ville pour s’installer sur la côte, au nord de la Colombie, dans un rêve de retour à la nature qui tourne au cauchemar. Une atmosphère oppressante, des personnages quasi désincarnés, une langue épurée, une fin bien noire font la force de ce livre (paru en France en 2010 aux éditions Carnets Nord).
Quand j’ai lu ensuite La Historia de Horacio, j’ai donc été surprise par l’écriture : la phrase est plus ample, le ton moins acerbe, les dialogues plus riants… En réalité, l’œuvre de Tomás González est assez variée, mais un même thème la parcourt tout entière, c’est la constante lutte entre la vie et la mort, ce conflit de fond entre la forme et le chaos… et L’Histoire d’Horacio en est la parfaite illustration. Tomás González a une affection particulière pour ce texte et je suis très heureuse que Carnets Nord ait eu envie de le publier à la suite d’Au commencement était la mer.
L’Histoire d’Horacio est une sorte de symphonie familiale – composée autour d’Horacio, de ses deux frères, de sa femme et de leurs sept enfants, de son beau-frère Eladio et de sa flopée de belles-sœurs et de neveux – qui pourrait avoir un côté typiquement latino-américain, dans la prolifération des personnages, la présence de la nature, des animaux, le langage coloré, etc. Mais il n’en est rien. Pas de réalisme magique ici, pas de personnages qui s’envolent dans le ciel… pas d’épopée non plus. Il ne se passe rien d’extraordinaire, sauf la vie même. Horacio a deux vaches dont il s’occupe avec passion, il aime les courses de chevaux, les cigarettes Pielroja, sa Volkswagen, le commerce des antiquités, et passer du temps avec sa famille. Mais sa plus grande obsession, c’est la mort, qui diffuse une tension sur le moindre événement, sur la moindre de ses joies ou contrariétés. Horacio est un homme trop sensible, il est comme le paroxysme d’une angoisse que nous connaissons tous, et c’est ce qui aura sa peau.
Mais tout comme nous marchons la plupart du temps vers la mort dans une quasi-insouciance, Tomás González raconte celle-ci sans emphase, avec justesse, poésie et une espèce de légèreté. L’une des singularités de ce texte, c’est la façon dont le temps y est appréhendé, manié avec une grande habileté, une conscience aiguë, qui peuvent rappeler Claude Simon. Certains critiques colombiens y ont vu les enseignements que Tomás aurait tirés de sa lecture de Joyce. Non, la lecture de L’Histoire d’Horacio n’est pas une lecture difficile… mais le temps y est comme déployé, éthéré. Un des (en)jeux de la traduction a donc été de permettre au lecteur de glisser, aussi facilement que dans la langue de Tomás, d’un temps du récit à un autre, des souvenirs d’un passé lointain aux émotions du moment, mais aussi d’une focale à l’autre (à chaque chapitre, on adopte un point de vue différent : d’abord Horacio, puis sa femme, ses deux frères et son beau-frère). Entre le mouvement de descendre un escalier pour aller chercher une culotte qui sèche dehors et le retour à la salle de bains pour l’enfiler, par exemple, quantité de souvenirs, de sensations, d’instants d’épiphanie traversent le personnage. Il a fallu parfois jouer sur les temps du passé, justement, là où la langue espagnole se contente d’un passé simple… Le chapitre consacré à Eladio, le beau-frère médecin, est traversé à la fois par la mise bas apocalyptique de la vache d’Horacio et par des dizaines d’autres personnages, ses patients, contrepoints qui s’intègrent à l’histoire du médecin, qui s’intègre à celle d’Horacio, etc. Mais cette imbrication des récits reste fluide, le lecteur ne s’y perd jamais. Quant au narrateur, il est toujours là, omniscient, qui cimente réminiscences et dialogues par l’évocation du chant d’un oiseau, de l’arrivée d’un orage, tout ce qui rend la nature si réjouissante ou bouleversante. Ce livre, d’un équilibre surprenant, parvient à mener tout cela dans une sorte de crescendo très bien orchestré.
L’Histoire d’Horacio mêle tous les registres : la poésie de la narration est entrecoupée de dialogues pleins d’humour, triviaux ou philosophiques, ponctués d’expressions locales (plus précisément d’Envigado, dans la province d’Antioquia, au nord-ouest de la Colombie), voire familiales. Le niveau de langage fait de nombreux pas de côté, dont il a fallu conserver la subtilité. Les insultes, c’est tout un art à Envigado. Là-bas, on ne se contente pas d’un banal hijueputa, mais on renchérit en doblehijueputa, redoblehijueputa, redoblecatrehijueputa… Le jeu a consisté à trouver des équivalents français, sans tomber dans le banal « fils de pute » qui n’avait rien à faire là – et sachant qu’on est bien loin de toute forme de costumbrismo, il n’était évidemment pas question non plus de « faire paysan ». Lorsque c’est le personnage d’Elias l’écrivain qui s’exprime, le ton change radicalement. Tomás s’est inspiré de son oncle, Fernando González, philosophe dont l’écriture par aphorismes est parfois nébuleuse. Après avoir retourné une de ses phrases dans tous les sens, il m’est arrivé de m’adresser à Tomás, qui a dû s’inquiéter de voir jusqu’où me portaient mes tâtonnements. Heureusement, j’ai la chance de traduire un auteur bienveillant, qui ne se situe pas comme observador, mais plutôt espectador du travail de traduction de ses textes. Nos échanges n’ont jamais rien eu du duel que certains traducteurs vivent avec leurs auteurs.
C’est Elias justement, le philosophe, qui dit : « Qu’il était difficile, le chemin vers la simplicité du langage, où les mots apparaîtraient aussi naturellement que la mousse sur les pierres. » Je me suis souvent répété cette phrase tout au long de ce travail…

* Delphine Valentin a traduit entre autres Ricardo Menéndez Salmón, Guadalupe Nettel, Fernando Trías de Bes. L’Histoire d’Horacio sort ce mois-ci chez Carnets Nord.

Delphine Valentin
Le Matricule des Anges n°137 , octobre 2012.
LMDA papier n°137
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