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Domaine étranger Ferré, l’artificier

novembre 2012 | Le Matricule des Anges n°138 | par Eric Bonnargent

L’écrivain espagnol subvertit, dans une farce délirante et macabre, le mythe du nationalisme basque.

Bien que le terrorisme basque ait longtemps été au centre de l’actualité espagnole, aucun romancier n’a eu le courage d’en parler. Aucun, sauf Juan Francisco Ferré (l’auteur de Providence) qui écrivit La Fête de l’âne en 2005, au plus fort de la lutte contre l’ETA.
Tout commence par la reconstitution de l’attentat de 1973 qui coûta la vie à l’amiral Carrero Blanco, alors considéré comme l’héritier de Franco. Présent sur les lieux, Gorka K., le personnage principal, est contraint d’admettre que la voiture sous laquelle a explosé la bombe n’est pas retombée : « Elle doit toujours être là (…) comme un vaisseau stationné dans la stratosphère, avec sa sobre carrosserie percée, ses roues crevées, les quatre embouchures d’entrée ou de sortie et son étrange équipage de fantômes dépecés. Peut-être attend-elle mystérieusement son heure pour revenir, telle une figure légendaire, et ne fait-elle que s’attarder là-haut, dans son purgatoire aérien, à seule fin de faire une blague pénible. »
La Fête de l’âne n’est pas une « une blague pénible » mais une farce macabre. Les lois de la logique et de la psychologie ont aussi explosé car loin d’être terrorisée, la foule est prise d’un joyeux délire : tandis que certains barbotent dans le cratère transformé en piscine par la rupture des canalisations d’eau, d’autres amènent « des planches d’un chantier voisin, des échelles et des échafaudages afin de construire une infrastructure insolite de plongeoirs et de rampes. » Le grand-guignolesque est en marche : Gorka K. s’acharne à tirer sur un homme qui ne cesse de se relever, un zombi constitué des restes de quatre terroristes s’étant fait sauter par accident sort de son cercueil, une fête de l’âne dégénère en tuerie, etc. Les lois de la narration ont aussi volé en éclats : les chapitres constituent des fragments qu’il serait inutile de vouloir remettre en ordre. L’absurde est la règle. Gorka K. lui-même est protéiforme. Jeune conseiller municipal nationaliste, il se transforme en tueur implacable, en femme officier de la garde civile (comme son homonyme kafkaïen, il a parfois des réveils difficiles) et même en vieille transsexuelle tenancière d’un bar rendu célèbre par son fameux cocktail au goût de sperme, la « voiturexplosive »…
Si La Fête de l’âne est un livre drôle, son comique est grinçant et permet à Ferré d’éviter un ton doctrinal. Il s’en prend aussi bien à la politique gouvernementale qui accorda une amnistie rémunérée aux membres de l’ETA dans les années 80 qu’aux discours séparatistes, notamment en se mettant en scène dans une émission télévisée où il est invité pour parler de son roman tantôt nommé Le Festival de la bourrique, Le Festin de l’étalon, etc. Avec son « visage simiesque » et « son alopécie galopante », son double défend l’idée d’un décret royal accordant l’indépendance aux Basques, ces « troglodytes » qui, avec « leur histoire désastreuse et leur malheureuse sous-culture forestière », laisseraient enfin en paix le reste du pays. D’ailleurs, la critique des médias occupe ici une place centrale. Ferré dénonce leur pusillanimité et leur rôle ambigu. Sans les médias, le terrorisme n’existerait pas. Après chacune de ses actions, Gorka allume son poste : « Tuer, regarder la télé. Tuer puis regarder la télé, comme si c’était une conséquence naturelle ». Le propos de Ferré n’est cependant pas manichéen : il reconnaît aussi que le trop-plein d’images a fini par créer un sentiment d’unité nationale ayant peu à peu marginalisé l’ETA.
Plus qu’une simple attaque contre le nationalisme basque, La Fête de l’âne est une plongée dans le mal. Le lecteur y rencontrera d’anciens nazis et ne pourra pas s’empêcher d’être glacé d’horreur par certains chapitres dont celui consacré à l’exécution de tout un conseil municipal ou à celui du viol d’une jeune militante par une bande de motards tout droit sortie de Mad Max. Et ce n’est sans doute pas pour rien que le médecin légiste si affairé est qualifié de « dernier des humanistes »…

Éric Bonnargent

La Fête de l’âne
Juan Francisco Ferré
Traduit de l’espagnol par François Monti,
Passage du Nord-Ouest, 294 pages, 21

Ferré, l’artificier Par Eric Bonnargent
Le Matricule des Anges n°138 , novembre 2012.
LMDA PDF n°138
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