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Poésie L’âge d’airain

novembre 2012 | Le Matricule des Anges n°138 | par Thierry Cecille

Edward W. Said, dans ces essais réunis de manière posthume, invente le concept de « style tardif » et explore, avec perspicacité, des œuvres marquantes qui l’illustrent.

Quoi de commun entre Le Guépard (le roman de Lampedusa et le film qu’en tira Visconti) et les derniers quatuors de Beethoven, quels rapports significatifs établir entre Cosi fan tutte et Un captif amoureux de Genet ? Nul doute qu’il était nécessaire de posséder la culture et la curiosité de Edward W. Said, tout comme son expérience cosmopolite – au sens noble que l’on donnait à ce terme au XVIIIe siècle – pour mener à bien l’enquête qu’il propose ici afin de déterminer ces liens mystérieux entre des œuvres a priori fort dissemblables. Said mourut en 2003 et cet essai prend donc, sans qu’il l’ait expressément désiré, une valeur testamentaire d’autant plus troublante que le « style tardif » caractérise, selon lui, les créations sinon ultimes, du moins liées à la maturité, des artistes auxquels il s’attache.
La thèse est celle-ci : loin de proposer une vision harmonieuse, une forme artistique réconciliant, à l’aide des ressources de toute une existence, préoccupations esthétiques et vision du monde, le « style tardif » est en fait l’expression d’une quête inassouvie. Ces œuvres auxquelles Said s’intéressa longuement (le projet de cet essai remonte au moins à la fin des années 1980, nous dit-on dans l’avant-propos) sont donc « marquées par l’intransigeance, l’effort douloureux, et les contradictions non résolues ». Paradoxalement, elles peuvent cependant également témoigner d’un véritable « regain d’énergie presque juvénile qui constitue une véritable apothéose de la créativité et de la puissance artistique ».
Said ne dissimule pas sa dette envers Adorno, et nombre de ses analyses s’inspirent de l’exigence conceptuelle et reprennent certaines des préoccupations de l’auteur de Minima moralia, pourfendeur de la (sous-)culture de masse et du kitsch sous toutes ses formes. C’est surtout le cas dans les essais consacrés aux compositeurs, à Beethoven et Mozart, mais aussi à Strauss ou Britten. S’ils ne sont pas toujours de lecture aisée pour qui ne possède pas le savoir musical de l’auteur, ils éveillent pourtant le désir d’entendre autrement des œuvres parfois mésestimées. L’essai sur Cosi fan tutte démontre ainsi que cet opéra n’est sans doute que superficiellement superficiel, et qu’il révèle bien davantage qu’on ne le pense d’ordinaire sur la cruauté des rapports amoureux. Nous découvrons de même que l’opéra de Britten Mort à Venise compose, avec le film de Visconti et la nouvelle de Mann, une sorte de triptyque dédié à l’impossibilité d’atteindre la beauté, à sa recherche exténuante – dont Venise est le symbole. C’est « cette faculté de traduire le désenchantement comme le plaisir sans avoir à résoudre la contradiction qu’ils représentent » que Said décèle également dans les poèmes de Cavafy. S’y exprime une « subjectivité, résultant de sa maturité, débarrassée d’hubris et d’emphase, et qui ne rougit pas plus de sa faillibilité que de la modeste assurance que lui ont apportée l’âge et l’exil ».
C’est à un autre exilé permanent qu’est consacré l’essai qui nous semble le plus significatif (si on le rattache à ce que représenta, pour Said, durant tout son parcours, la cause palestinienne) : Jean Genet crée, avec Un captif amoureux, un « ultime chef-d’œuvre », donnant à voir « le conflit entre l’égocentrisme de l’écrivain et son abnégation ». Ce récit de son engagement auprès des Palestiniens, avec son architecture complexe, entre autobiographie fragmentaire et théâtre en éclats, témoigne avec une force particulière de ce « style tardif » grâce auquel l’écrivain rassemble ses forces et nous emporte. Ainsi, « lire Genet revient à accepter la spécificité, qui échappe à toute contrainte, de sa sensibilité, laquelle fait sans cesse retour à cette aire particulière où la révolte, la passion, la mort et la renaissance sont indissolublement liées ».

Thierry Cecille

Du style tardif
Edward W. Said
Traduit de l’américain par Michelle-Viviane Tran Van Khai
Actes Sud, 313 pages, 25

L’âge d’airain Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°138 , novembre 2012.
LMDA PDF n°138
4,00