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Intemporels Chant de la terre

novembre 2012 | Le Matricule des Anges n°138 | par Didier Garcia

Un demi-siècle de l’Histoire du Portugal, vu par le prix Nobel José Saramago. Sans complaisance, car du côté des plus démunis.

Relevé de terre

Ce roman s’ouvre sur une scène qui suscite d’emblée l’empathie du lecteur : une famille avec un bébé, installée parmi ses meubles sur le plateau d’une charrette tirée par un âne, traverse un paysage désolé sous une pluie battante, alors que la nuit semble vouloir s’empresser de tomber…
Bienvenue dans l’Alentejo, une région aride située au sud du Tage, et plus précisément dans le latifundium, ce vaste domaine agricole où l’on pratiquait une culture extensive et où les travaux des champs étaient réalisés par des journaliers exploités. Nous sommes alors à l’avènement de la République, soit peu après le coup d’État de 1910 qui renverse la royauté ; trois cents pages plus loin, ce sera la Révolution des œillets en 1974. Mais avant que d’en arriver là, il faudra d’abord se coltiner cette drôle de république, qui fait travailler ses enfants, et qui use d’une arme décisive pour asservir le peuple aux plus riches : l’ignorance (le mieux étant qu’un pauvre ne sache ni lire ni écrire ni compter, qu’il accepte ce monde comme le seul possible, et qu’à ses yeux il n’y ait un paradis qu’après la mort).
L’arrivée de Salazar ne change rien à la vie de ces déshérités, bien au contraire, puisqu’il renforce le pouvoir autoritaire déjà en place, favorise la collusion entre l’Église et le pouvoir, et encourage la PIDE (police politique) à régner par la terreur.

Répressions sanglantes.

Mais laissons là l’Histoire, qui saura bien poursuivre sans nous, et revenons là où la famille s’est arrêtée, autrement dit à Monte Lavre, où le monde ressemble à « une montre ouverte, avec les tripes au soleil, en train d’attendre que sonne son heure ». Nous voici aux côtés de la famille Mau-Tempo, un patronyme qui signifie « mauvais temps » en portugais. Beaucoup plus qu’un présage : une triste réalité. Lui, Domingos, est cordonnier, mais sa profession est ici parfaitement accessoire : c’est une des vies qui servent de chair à canon pour le latifundium. Toutes souffrent d’ailleurs des mêmes maux : la faim, la gale, la pénibilité du travail, l’arrogance des chefs, et les dettes chez l’épicier, car l’on a beau manquer d’argent il faut quand même bien se nourrir et nourrir ses enfants. Et dans ce Portugal aux allures franchement médiévales, les personnes charitables se font rares.
Entre jeunes gens de sexe opposé, on trouve malgré tout le temps de se courtiser et de s’offrir quelques minutes de plaisir. Tant et si bien que Domingos et Sara finissent par avoir des enfants, lesquels en auront à leur tour, le personnage principal n’étant donc jamais tout à fait le même, tout en étant toujours un Mau-Tempo.
En suivant ces trois générations, nous allons assister aux premières incitations à la grève. La revendication générale concerne alors les salaires. Comme en temps de guerre, la résistance s’organise, et des hommes se rencontrent en secret au beau milieu de nulle part pour décider d’actions communes (car leur seule force réside dans leur capacité à s’unir). Cela leur vaudra parfois des répressions sanglantes, voire des séances de torture – l’une d’elles est d’ailleurs décrite via le regard des fourmis, qui observent la scène avec une naïveté qui prêterait à rire si tout cela n’était pas tragique. Au final, ils lutteront pour des journées de huit heures.
Ce sont de « larges et longues histoires » qui constituent l’essentiel de ce roman publié initialement en 1980, mais qui était resté inédit en français. Difficile parfois d’y démêler le faux du vrai, et de savoir ce qui appartient à la réalité et ce qui relève de la légende, car dans le latifundium il se passe des histoires invraisemblables qui sont la vérité pure, et d’autres qui paraissent véridiques bien que n’étant qu’invraisemblances.
Peu importe après tout : José Saramago (1922-2010) signait ici un roman, et non pas un document socio-historique. Un roman d’ailleurs terrible et beau à la fois. Peut-être terrible à force de beauté. Le lecteur se trouve sans cesse tiraillé entre ces deux extrémités. D’un côté, il y a cette réalité révoltante (un père et un fils contraints par la PIDE à se battre entre eux), qui est une réalité historique et bien réelle : pendant toutes ces pages, nous partageons le sort de ces misérables qui, « toute leur vie durant et durant celle de leurs parents et grands-parents, et celle des parents de leurs grands-parents, ont eu faim ». De l’autre, cette beauté qui vient de la phrase et qui fait de ce roman un chant, une complainte si l’on préfère, pleine de poésie, et qui oppose une singulière naïveté à la cruauté des dragons de Salazar : « José Adelino dos Santos est mort, il a reçu une balle dans le crâne et au début il ne l’a pas cru, il a secoué la tête comme si un insecte l’avait piqué, mais ensuite il a compris. Ah, les salauds, ils m’ont eu, et il est tombé à la renverse, désemparé, sa femme n’était pas là pour l’aider, le sang lui a fait un oreiller sous la tête, un oreiller rouge, merci beaucoup. »

Didier Garcia

Relevé de terre
José Saramago
Traduit du portugais par Geneviève Leibrich
Seuil, 368 pages, 23

Chant de la terre Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°138 , novembre 2012.
LMDA PDF n°138
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