Il existe des chefs-d’œuvre méconnus – précisément parce qu’ils sont trop connus. Le Prince de Machiavel est sans doute de ceux-là : on s’en tient au qualificatif machiavélique, on croit savoir de quoi il retourne – et l’on passe outre. Le premier mérite de cette très belle édition est de nous permettre de voir plus loin. Patrick Boucheron (qui sut aussi naguère parler de tout ceci autrement, par l’invention romanesque, dans son Léonard et Machiavel) nous guide ici et nous apprend que le machiavélisme est en vérité une pensée forte pour temps faibles, une pensée mobile pour caractères rigides. Loin d’être le cynique qu’on vitupère souvent, Machiavel est le penseur de la variabilité des choses humaines, de la fortune qu’il faut attraper par les cheveux – et s’il prodigue ses conseils au Prince, c’est afin que celui-ci, quel qu’il soit, conquière la stabilité de l’État, contre la malignité indéfectible des hommes. La traduction de Jacqueline Risset rend, quant à elle, l’alacrité, le rythme à sauts et à gambades (Montaigne quelquefois n’est pas loin) de ce chroniqueur pour temps d’urgence. Mais la surprise – et le plaisir – vient peut-être surtout des illustrations : loin de n’être que surplus superfétatoire ou accessoire esthétique, les images de toute sorte ici choisies et commentées par Antonella Fenech Kroke nous proposent une véritable exploration de la Renaissance dont Machiavel fut le contemporain. Nous découvrons ces princes, papes, condotierri et cardinaux que peignirent Titien, Bronzino ou Giorgione, ou ces batailles sur lesquelles Vinci ou Michel-Ange exercèrent leur sagacité – jusqu’au David florentin qui retrouve ici sa virilité de héros civique, sa fougue de héraut de la liberté !
Thierry Cecille
Le Prince
Machiavel
Traduit de l’italien par Jacqueline Risset
Nouveau Monde éditions, 224 pages, 49 €
Domaine étranger Realpolitik
janvier 2013 | Le Matricule des Anges n°139
| par
Thierry Cecille
Un livre
Realpolitik
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°139
, janvier 2013.