Spécialisé dans les vies imaginaires depuis sa trilogie Angriffe, Alban Lefranc ré-invente ici l’adulescence du boxeur Mohamed Ali. Le roman se présente comme un enchaînement d’images-flèches qui, chacune ciblée sur une étape de la construction du Greatest, donnent sens à sa trajectoire. Ce sens, c’est celui de la distance. Si Cassius Clay devient l’Ali qu’on connaît, c’est parce qu’il s’est juré de conserver du recul en toutes circonstances. Entre lui et les autres, de l’air. « Flotter comme un papillon et piquer comme une abeille » devise-t-il. Loin des blancs, Ali ne se fera pas massacrer comme l’arrogant Emmett Till. Loin des femmes, il ne se fera pas envoûter comme son faible de père. En somme, Ali se protège en ne se livrant à personne sinon à Dieu. Pour déplier la trajectoire complexe du boxeur, Alban Lefranc fait appel à une farandole de procédés stylistiques. Les jeux sur la ponctuation, sur le rythme ou sur le registre s’enchaînent, les passes d’un narrateur à l’autre aussi : tantôt c’est le Sur-Moi du boxeur qui s’exprime, tantôt c’est plutôt la foule qui gronde. L’auteur va jusqu’à donner la parole à Dieu, qui signale à Ali : « Tu es trop lisse, tu manques furieusement d’angoisse ». Or, ce faisant, le tout-puissant semble aussi s’adresser à Lefranc ; son Ring invisible, à trop jouer sur la forme, manque de nécessité. Une vraie prise de risque de la part de l’auteur – qui, en littérature comme en boxe, signe le véritable coup de maître – fait ici défaut. Un roman sur la distance qui pèche, en somme, par excès de distance.
Blandine Rinkel
Le Ring invisible
Alban Lefranc
Verticales, 170 pages, 17,90 €
Domaine français De la distance
juillet 2013 | Le Matricule des Anges n°145
| par
Blandine Rinkel
Un livre
De la distance
Par
Blandine Rinkel
Le Matricule des Anges n°145
, juillet 2013.