L’œuvre de Paolo Giordano comble un manque : la littérature s’investit encore trop timidement dans les guerres récentes du Moyen-Orient. L’écrivain raconte le quotidien de soldats italiens, coincés dans un poste avancé afghan, au contact de la population, confrontés à un ennemi aussi invisible que patient : « Croyez-moi. On finira par perdre cette guerre comme ça. Ces crapules nous feront mourir d’ennui ». Le Corps humain est un récit choral. Le lieutenant Egitto, orthopédiste désigné médecin de la base, sert de lien entre tous les acteurs de ce drame humain. Un narrateur discret tisse les récits de chacun sans aucune rupture de style. Ietri, militaire consciencieux, se révèle dans le privé dominé par une mère surprotectrice. L’adjudant René monnaie ses faveurs à des femmes esseulées. Le pauvre Mitrano souffre le martyre en tant que souffre-douleur de la troupe. Le Sarde Torsu entretient une liaison par courriel avec une certaine Terpsichore89, dont tout le monde dit qu’il s’agit sûrement d’un homme. Un passé traumatique, le présent angoissant, Paolo Giordano opère des allers-retours incessants qui dressent le portrait de soldats psychologiquement sur le fil du rasoir. L’isolement, le temps suspendu, le danger permanent font penser au Désert des Tartares de Buzzati. Même si l’ambition de Giordano se veut plus prosaïque : montrer l’effet de la guerre sur les belligérants. Et révéler qu’elle s’inscrit de manière indélébile dans les esprits comme dans le corps humain : « C’est la peau trop lisse de ses joues et de son cou qui rend son visage incohérent. On l’a prélevée sur ses fesses et la lui a collée sur la face. Un miracle de la chirurgie moderne – une abomination. Le corps de Torsu marche, mais comme s’il était inhabité ».
F. M.
Le corps humain de Paolo Giordano
Traduit de l’italien par Nathalie Bauer
Seuil, 415 pages, 22 €
Domaine étranger Sans héroïsme
octobre 2013 | Le Matricule des Anges n°147
| par
Franck Mannoni
Un livre
Sans héroïsme
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°147
, octobre 2013.