Pour son premier roman, Guillaume Staelens a visé haut : ni plus ni moins qu’une transposition de l’errance rimbaldienne dans l’Amérique des années 1990. Son personnage principal, Nicholas Stanley, un adolescent métis, de père blanc richissime et de mère indienne, grandit aux States où chaque président a valeur d’emblème. L’élu du peuple imprime à la jeunesse un mode de vie : entrer dans le monde sous Reagan n’a rien à voir avec une immersion sous l’ère Clinton : « Après dix ans de reaganisme, être un loser restait l’accusation infamante ». Dans un pays où les questions raciales sont traumatiques, le jeune homme en rupture choisit de se construire par la littérature, le cinéma, la musique et la drogue. Il rompt avec sa famille, sans jamais trop savoir ce qu’il doit garder de ses héritages multiples. Il se fond dans les milieux branchés, voit passer des hippies has been, des grunges tendances, transcendés par les mélodies désenchantées du groupe Nirvana. Edgar Poe et ses visions cauchemardesques symbolisent pour lui une société malade qui fabrique ses monstres. Les vampires d’Anne Rice peuplent un univers qui va sur sa fin, incarnés par des groupes aux allures gothiques : « Le sida vidait les grandes villes de ses toxicos et les buveurs de sang étaient les derniers héros d’un monde fini ». Tout cela sur les accords cassés des Smashing Pumpkins et de Radiohead « qui évoluaient vers une poésie du renoncement ». Un naufrage illustré par Titanic, le film catastrophe de James Cameron, qui voit sombrer dans les abysses toutes les classes sociales, des cales aux ponts promenade. Mais déjà l’Histoire s’emballe : les guerres du Golfe, les révoltes urbaines de Los Angeles, les G8 et G20 contestataires, les attentats. Stanley, lui, voyage. Il traverse le continent et se lance dans la contrebande idéologique en livrant des armes, du Venezuela de Chavez à la Bolivie de Morales, toujours à la recherche de ses racines amérindiennes et d’un combat à mener. Une fresque sociale et humaine qui foisonne de références, peinture éclairante de plusieurs décennies d’agitation US.
Franck Mannoni
Itinéraire d’un poète apache,
Guillaume Staelens
Viviane Hamy, 302 pages, 22 €
Domaine étranger Itinéraire d’un poète apache
octobre 2013 | Le Matricule des Anges n°147
| par
Franck Mannoni
Un livre
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°147
, octobre 2013.