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Théâtre Meurtres en série

mai 2014 | Le Matricule des Anges n°153 | par Patrick Gay Bellile

Le théâtre de Suzanne Lebeau témoigne pour des femmes, victimes expiatoires de la mondialisation.

Suzanne Lebeau est québécoise. L’un des auteurs québécois les plus joués à travers le monde. Et elle écrit depuis toujours des pièces pour le jeune public. Aujourd’hui elle publie Chaîne de montage, son premier texte destiné aux adultes. Un texte coup-de-poing, un texte d’une grande évidence, écrit pour ouvrir les consciences. Un seul personnage, une femme. Et même, « Une femme seule et en colère » qui peut être interprétée par une comédienne, ou bien par un chœur de comédiennes tant il y a là l’endroit d’un très beau travail choral. Et cette femme ne comprend pas. Elle est dans le désert, sous une chaleur insupportable, et elle ne comprend pas pourquoi des jeunes femmes sont assassinées au Mexique, à Ciudad Juarez, ville frontière avec les États-Unis. La capitale mondiale du meurtre. Des dizaines de jeunes femmes dont, au début, on retrouve les corps, rejetés par le sable du désert dans lequel ils ont été rapidement enfouis. Des corps mutilés, violés. Et puis, les corps sont dissous dans la lecha, un mélange de chaux vive et d’acide, et il ne reste rien des jeunes femmes. Depuis 1993, date du premier enlèvement, rien n’a été fait : les enquêtes menées n’aboutissent pas, les dossiers disparaissent. Alors, que vient faire le théâtre là-dedans ?
Certainement pas apporter des réponses, et Suzanne Lebeau s’en garde bien. Elle reprend les éléments du fait divers, les confronte entre eux, et nous livre ses doutes, sa tristesse et sa colère. À Juarez sont installées de nombreuses grandes entreprises occidentales qui fabriquent à bas coûts les objets du quotidien des occidentaux : téléphones, ordinateurs, aspirateurs. Elles emploient une main-d’œuvre locale, jeune, pauvre et féminine. Une main-d’œuvre venue des bidonvilles du pourtour de la ville et qui trouve là le maigre salaire lui permettant de survivre. À Juarez coexistent d’immenses richesses détenues par quelques individus habitant dans le quartier protégé, et une immense misère. Mais cette zone frontière est aussi le terrain de jeu privilégié des cartels de la drogue. Et pour compléter le tableau, les politiques font ce qu’il faut pour que rien ne bouge. Suzanne Lebeau s’intéresse à ce parallèle entre les usines qui emploient, maltraitent, usent les ouvrières qui travaillent pour notre confort et leurs disparitions mystérieuses, comme si le travail, à force de nier leurs existences finissait par provoquer leur anéantissement. Et elle pose la question de sa responsabilité en tant qu’utilisatrice de l’aspirateur Electrolux : « C’est pour moi que ces femmes travaillent. » Les entreprises sont installées de l’autre côté d’un grand mur qui sépare le Mexique des États-Unis : libre circulation des marchandises bien sûr, mais pas de l’immigration clandestine. Les objets passent, mais les personnes restent chacune de leur côté.
Suzanne Lebeau a écrit un texte comme une prière, un oratorio, une supplication : pour ne pas oublier, pour que les corps de ces femmes ne disparaissent pas de nos mémoires. Elle interroge nos responsabilités autant que les enquêteurs chargés d’élucider ces disparitions. L’écriture est brève, saccadée, elle saute de questions posées en réponses possibles. D’une très grande clarté, elle ne s’enlise pas dans les arguties et les méandres d’une affaire judiciaire, mais pose clairement la question : « aucun des objets qui m’entourent n’est innocent. Mais lequel est coupable ? Lesquels sont coupables ? » La question n’est finalement plus de savoir qui s’attaque réellement à ces femmes, cela on ne le saura peut-être jamais. Mais comment la mondialisation et ses délocalisations lucratives finissent par créer les conditions d‘un enfer qui brûle ses victimes dans l’indifférence générale. « Ce que l’on ne sait pas ne fait pas mal / Je ne savais pas / J’ai gardé le silence longtemps. / Ce que l’on ne dit pas ne fait pas mal. / N’existe pas. / Comment vivre maintenant les yeux ouverts ? »

Patrick Gay-Bellile

Chaîne de montage
Suzanne Lebeau
Éditions Théâtrales, 78 pages, 14

Meurtres en série Par Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°153 , mai 2014.
LMDA PDF n°153
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