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Traduction Serge Mestre*

octobre 2014 | Le Matricule des Anges n°157

Tout est silence, de Manuel Rivas

Manuel Rivas est sans doute l’un des auteurs espagnols contemporains dont je me sens viscéralement – le mot est choisi sciemment – le plus proche. Ayant été moi-même en prise avec la guerre et l’après-guerre civile espagnole, à travers le combat puis l’exil politique de mes parents, cette proximité est bien entendu alimentée par ce qu’on pourrait appeler mon histoire commune avec Manuel Rivas. À cela près qu’il s’agit, entre nous, de la rencontre de l’exilé de l’intérieur qu’il représente, avec le fils de l’exilé que je suis.
Le magnifique roman Tout est silence, à première vue décalé par rapport à l’ensemble de la production de Manuel Rivas (mais cela reste à voir), n’inaugure en rien ma pratique (mon expérience ?) de la traduction des textes de l’auteur galicien. J’ai eu le plaisir de rencontrer ce dernier voilà presque une quinzaine d’années et je traduis depuis, cycliquement, ses romans et ses nouvelles, au rythme de leur production. Tout est silence, ce mystérieux et cynique hymne au silence qu’il nous livre aujourd’hui est ainsi le quatrième volume dont les éditions Gallimard m’ont confié la traduction.
Écrivain du perplexe, du questionnement, de l’inattendu et écrivain lui-même inattendu, Manuel Rivas semble n’avoir de cesse que de surprendre son lecteur. C’est d’ailleurs par cette entrée que j’aimerais aborder le plaisir de traduire qui a subtilement œuvré à mon rapprochement avec l’auteur du Crayon du charpentier. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, si le traducteur est, comme on le dit communément, un passeur (je préfère : un artisan passeur, ou plutôt un apprenti passeur, car la pratique n’est pas exacte), il est aussi celui qui tente d’édifier une relation idéalement partageable et parfois même – lorsque, comme ici, cela se passe bien – partagée avec l’auteur, autrement dit, une complicité littéraire en constant devenir.
Et, dans ce cas-ci, le moteur de la complicité est bien la perplexité : autant du point de vue des situations, des personnages qui mettent en scène (en écriture, en littérature) les thèmes abordés, que du point de vue de la forme qui les accueille (les situations) ou les habille (les personnages).
Le perplexe chez Rivas réside dans une sorte de mise en espace (en plan, s’agissant de la page) des scènes qui ponctuent chacun de ses récits et s’imbriquent les unes dans les autres jusqu’à leur construire cette unité singulièrement plurielle qu’on appelle le roman. Oui, tout cela fait terriblement penser au théâtre et, d’une certaine façon, c’en est vraiment !
Cet aspect de la construction des textes de Manuel Rivas m’a poussé à ne jamais trop « creuser » la première lecture du roman à traduire, afin d’en garder, avant de commencer mon travail, juste un éclairage impressionniste – un flou de tous les possibles, une mémorisation vague. Dans un premier temps, il est important pour moi de garder le texte à distance, afin de me laisser surprendre à mon tour, de retrouver la fraîcheur de la découverte. Dans le fond, mon idéal consiste à faire que lire soit traduire, tout comme pour le lecteur lambda, lire c’est réécrire.
Dans Tout est silence, on passe de la trivialité d’une scène de gangster soucieux de faire respecter son empire, à celle d’une plage de galets froids, juste après la tempête, sur laquelle la mer est venue rejeter pendant la nuit, au milieu des embruns glacés, une cargaison d’oranges qui, de représenter l’ailleurs, l’été et sa fertile opulence, le calme après l’ouragan galicien, est à nouveau transformée en objet de convoitise, en richesse, et engendre par conséquent le conflit.
Un peu plus loin, comme dans d’autres romans de Manuel Rivas (la scène est récurrente), la mer – encore elle – rejette des mannequins sans tête, avec tête, ou leur tête seule et sans le tronc, qui deviennent autant de personnages dont l’océan accouche, toujours à l’ombre du phare d’Hercule, et que l’écrivain modèle par la suite. Chez l’auteur de La Langue des papillons, tout vient de la mer – même les régiments d’accordéons, découvre-t-on dans ses romans précédents, qui jouent tout seuls au rythme de la houle. Dans Tout est silence, c’est la contrebande qui vient de la mer, comme les naufrageurs l’ont toujours pratiquée depuis des siècles, sauf qu’aujourd’hui les jeunes générations ont remplacé le tabac et l’alcool par de la drogue dure convertissant les petits trafiquants du passé en dangereux bandits, désormais en réseau avec le reste du monde.
Cependant, si une singulière mythologie maritime est toujours à l’origine du paysage littéraire de Manuel Rivas, quelque chose d’éminemment plus politique coule entre les lignes et sous les mots de ses récits. Que ce soit dans Le Crayon du charpentier qui parle à l’oreille du bourreau ou dans l’injonction du narcotrafiquant qui inaugure Tout est silence (« La bouche ne sert pas à parler. Elle sert à se taire. »), nous retrouvons l’horreur des années de plomb de l’après-guerre civile espagnole, où la règle consiste à se taire, à passer sous silence l’oppression fasciste.
Dès lors on comprend ce que signifie l’anecdote que Manuel Rivas se plaît à raconter (un homme d’âge mûr demande à un jeune garçon galicien : qu’aimerais-tu faire lorsque tu seras grand ? Et le gamin lui répond, du tac au tac : émigré !), elle ne concerne pas seulement la rudesse géographique et climatique du Finisterre espagnol, peut-être évoque-t-elle aussi un singulier et meurtrier silence… oui… que l’Histoire officielle se refuse toujours à combler.

* Traducteur, entre autres, de Jorge Semprún, Josep Pla, César Aira, Alan Pauls. Tout est silence paraît aux éditions Gallimard le 16 octobre.

Serge Mestre*
Le Matricule des Anges n°157 , octobre 2014.
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