La masse lourde du cadavre pendait au bout de la corde, chargée d’un silence définitif, bras et jambes immenses. À côté de la chaise renversée, sous les pieds nus, gonflés et noirâtres, les deux pantoufles et une flaque. » C’est par cette scène du suicide d’un vieil homme, que s’ouvre le premier roman de Michel Serfati. Il y a là le portrait mortuaire et défiguré d’un homme auquel le fils va devoir reconstruire un visage humain. Pourquoi le vieux se pendrait-il ? La vérité sur le suicide de son père, Alexandre doit la chercher loin de Strasbourg où il vit, loin de son propre fils avec qui ses rapports sont froids et distants. La vérité a la forme d’une lettre venue d’Algérie, signée Kahina N’Soumer. Cette fille d’un maquisard kabyle a toujours entendu parler du père d’Alexandre, Daniel. Il aurait, lors de la guerre d’Algérie, trahi son propre camp en organisant secrètement la fuite du père de Kanina, Skander, alors prisonnier des artilleurs français. Impossible pour Alexandre de faire le lien entre un père quasiment muet, rarement tendre, et cette figure de héros fraternel qui surgit soudain. Elle prend naissance en Algérie, et c’est donc là qu’il se rend, espérant lever le paradoxe : pourquoi un sauveur se suiciderait, et ce tant d’années après les événements ?
Sous ses pas, sous la plume précise et très documentée de Michel Serfati, Alger se lève dans une lumière blessante et éclatante. Elle est à l’image de Kahina dont la beauté souffre d’un œil perdu lors d’un attentat contre son père. Dans les méandres des venelles sales, devant une bouche de métro transformée en vide-ordures, l’humanité des Algériens, leur goût pour le partage viennent réchauffer l’âme meurtrie du Français. À la croisée des chemins, le voilà témoin de l’Algérie d’aujourd’hui, très au fait de l’actualité, courageuse dans ses écrits et dans ses manifestations. Avec cette traversée d’Alger, où il tient fermement les fils de nos deux Histoires réunies, Michel Serfati dresse le portrait d’une Algérie que la souffrance et le désœuvrement de sa jeunesse n’ont pas abattue. Mais elle se montre prise dans l’étau du temps et des appétits mercan-tiles : le colonialisme et ses cicatrices, la guerre d’Indépendance, et après « la décennie noire du terrorisme fratricide le plus violent », la mainmise des plus armés et des plus nantis sur son pétrole et son gaz. Dans ses pérégrinations, Alexandre pourra mieux soupeser la chape de plomb qui a étouffé la parole du vieil homme. Et ce n’est pas le moindre intérêt de ce riche ouvrage que de nous tendre le miroir d’une Algérie qui, elle, fait un travail de mémoire, et n’a pas oublié la France.
Virginie Mailles Viard
Finir la guerre
Michel Serfati
Phébus, 137 pages, 15 €
Domaine français La vérité des pères
avril 2015 | Le Matricule des Anges n°162
| par
Virginie Mailles Viard
Un livre
La vérité des pères
Par
Virginie Mailles Viard
Le Matricule des Anges n°162
, avril 2015.