Un endroit étonnant où coulent deux rivières. Lugubre et beau. Un paysage industriel à l’abandon au cœur de la campagne. Comme une « verrue ». Nous sommes à Barjols, 3 000 habitants, dans le Haut Var. On y produisait le cuir, de père en fils, depuis des siècles. La dernière tannerie a fermé en 1983. C’est ici, parmi les 15 000 m2 réhabilités en lofts ou en ateliers d’artiste, que Claudie Lenzi et Éric Blanco ont installé leur maison d’édition.
Diplômée de l’École des beaux-arts de Marseille, Claudie Lenzi est poète et artiste plasticienne. « Je suis une fille de docker. Mon père jouait de l’accordéon dans les bars. J’ai été nourrie par la variété française. » Elle ajoute : « Malentendante, j’avais une revanche à prendre avec les mots qui m’ont martyrisée toute la vie. » Éric Blanco, lui, a un itinéraire plutôt singulier. Après une formation d’électronicien, il travaille dans l’industrie pétrolière, avant de reprendre des études (MST multimedia & audiovisuel, DEA de lettres) et devenir vidéaste. Ses goûts le portent vers des poètes remuants et sonores : Bernard Heidsieck, Ghérasim Luca, Jean-François Bory.
En 1993, ils rencontrent le poète Julien Blaine lors d’une exposition (« Par les yeux du langage ») à laquelle Claudie participe. Elle-même bricolait des livres d’artiste dans son coin, avec de la sérigraphie. « C’est lui qui nous a prouvé que l’édition alternative était possible. » Dans la foulée, le couple crée Plaine page, du nom d’un quartier de la cité phocéenne. « La page comme terrain de jeu ou comme terrain d’action. » Pari tenu. À Barjols, on se souvient encore de l’exposition « Chauffe, Marcel », dédiée au célèbre maillot sans manches, un mois avant la traditionnelle fête de… Saint-Marcel et son bœuf sacrifié. Rencontre avec deux éditeurs attachants, agitateurs de terrain, pour qui la poésie s’apparente à un « sacerdoce ».
Dans quelles conditions vous êtes-vous installés à Barjols ?
Claudie Lenzi : on a découvert ce village lors de nos tournées avec « l’écrit-bus », un dispositif itinérant d’atelier d’écriture mené en collaboration avec la BDP du Var. Chaque dimanche, on faisait les foires et les marchés de l’arrière-pays au milieu des chaussettes et des tomates. On sortait notre barnum, les tables et les chaises, et les gens écrivaient librement sur toutes sortes de matériaux, selon des consignes visuelles. Par exemple, à Salernes, fief du carrelage, le public écrivait sur des carreaux, que je cimentais ensuite les uns aux autres (rires). On aime être confrontés à des publics non acquis… Bref, ce lieu nous avait impressionnés, avec ses friches industrielles, ses ateliers abandonnés, ses grands espaces.
Éric Blanco : on a choisi de vivre et de travailler ici en 2004. Que le lieu de production soit aussi un lieu de diffusion de la poésie et des arts plastiques. La diffusion se joue en plusieurs endroits : les lectures-performances, les expositions, les résidences, les ateliers pour les enfants,...
Éditeur Poésie de proximité
mai 2015 | Le Matricule des Anges n°163
| par
Philippe Savary
Ancré dans le territoire haut-varois, Plaine page déploie une activité tous azimuts où se mêlent édition de livres et événements culturels. Pour que la poésie vive là où on ne l’attend pas.
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