Jacques Abeille aime les portes dérobées, les tiroirs secrets, les miroirs sans tain. Bref, tout ce qui débouche sur autre chose, l’inattendu, l’invisible, l’inconnu. Dans ce recueil, qui laisse à tort suggérer quelque variation autour de la retraite, l’auteur des Jardins statuaires livre un « recueil de contes plus ou moins fantastiques », pour citer le narrateur de la nouvelle intitulée « Mon dernier récit IV ». Après avoir donné des écrits érotiques à ce même éditeur, Abeille propose cette fois sept textes qui, outre le fait d’avoir quasiment tous déjà parus en revues, ont en commun de déboussoler. Comme envoûté, le lecteur suivra par exemple ce « navigateur en chambre » dans ses échappées nocturnes ou cet écrivain dans son « effarante expérience », celle qui le voit happé dans une dimension parallèle au moment où il retrouve son premier amour. Devant ces « empilements d’imagination », forcément, on pensera à Borges ou à Kafka. Les nombreuses mises en abyme qui rythment le recueil forcent à considérer ce livre, modeste par la taille, comme un « décodeur » de tout premier ordre. Très juste, le choix de ce mot par l’éditeur, car il dit bien la fonction matricielle que ce petit livre recouvre, rapporté à l’ensemble du travail de Jacques Abeille : « Il est vrai que toutes ces histoires traitent selon des points de vue variés du destin des créateurs ». Ce serait donc une sorte de clé magique permettant d’ouvrir les portes de son atelier mental, de s’y faufiler telle une petite souris curieuse. Au risque, comme dans un labyrinthe, de ne pas retrouver la sortie… Dilatation du temps et de l’espace, spasme de la mémoire, dialogue avec la matière de l’inspiration, effleurement de la folie, cet opus déstabilise d’autant plus peut-être que le langage, lui, est d’une absolue précision. Flirtant avec un certain surréalisme, Fins de carrière s’enveloppe de mystère et plonge le lecteur dans une atmosphère souvent troublante et fiévreuse. On avance sur le fil de ces fictions comme le funambule au-dessus du vide.
A. D.
Fins de carrière
Jacques Abeille
Éditions in8, 141 pages, 17 €
Domaine français Mises en abyme
juin 2015 | Le Matricule des Anges n°164
| par
Anthony Dufraisse
Un livre
Mises en abyme
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°164
, juin 2015.