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Les mains dans la lutte V****

juin 2015 | Le Matricule des Anges n°164 | par Charles Robinson

Il y a plus d’un an qu’il est en prison. Une escroquerie, montée à quatre, une affaire entre voisins. Elle dit : « Il se serait pas fait prendre, il aurait arrêté tout de suite après. Franchement, ça gênait personne. On revenait à flot, on payait des impôts. Tout le monde était gagnant. »
Elle s’est fait natter les cheveux, serrés sur le crâne, tendus à tirer la peau. Elle croit que ça lui remonte les chairs du visage. Elle a des grilles, des barbelés, dans la gorge, dans la bouche. Première fois où tu passes sous un mirador. Des portes en métal dans les mollets et des verrous qui claquent dans les genoux quand elle se redresse.
Elle porte rond un ventre de sept mois. Il était une fois un agent commercial grosses cylindrées qui a loué pas cher dans la même zone pavillonnaire, et qui est parti à la fin de sa mission pour le garage local.
Elle dit : « Juste comme un échantillon reçu par la Poste en publicité : quand t’as vidé le flacon, t’as pas l’argent pour en racheter un vrai. Après, c’est juste con de se faire refiler ça avant qu’il parte. Ça c’est sûr que c’est pas malin. »
Elle ne va plus aux parloirs depuis deux mois. Elle se contente du linge (il n’a jamais eu un tee-shirt qui n’ait pas été repassé) et des friandises (barres chocolatées). Elle y envoie sa sœur à elle, avec qui son homme ne s’est jamais entendu. Les deux s’engueulent, apparemment. Sa sœur dit chaque fois que c’est la dernière fois qu’elle se tape les 150 km aller. Et puis elle y retourne en emmenant l’un ou l’autre des enfants du couple.
Pour expliquer son absence, elle dit qu’elle a trouvé du travail, justement les jours de visite.
Elle dit : « Tu sais qu’ils vont nous couper l’électricité ? »
Pour l’instant, son homme ne sait rien, il la ferme. Il n’a même pas demandé si c’était OK pour la prochaine unité de vie familiale à laquelle il a droit.
Elle devrait anticiper sa sortie, son retour au foyer, la découverte qu’ils sont surnuméraires dans la maison.
Mais, anticiper, ça veut dire regarder à plus d’une semaine. Un luxe. Son horizon est de type déferlant : le réveil des gamins et le prochain caddie.
Elle dit : « Je comprends pas pourquoi ils bouffent comme ça. C’est quand même pas nous qui leur avons donné ces habitudes. »
Elle a le visage émacié, les pommettes osseuses, des doigts longs et ridés que le soleil a fripé, et elle a gardé toutes ses bagues depuis qu’elle est jeune fille, les bagues de ses amours, dépareillées, en métal et plastique, à faux diamant et à pierre jaune, signées d’un prénom ou petite bague, toute neutre, achetée un samedi avec les courses de la semaine à l’hypermarché. Ses bagues amènent un peu de pouvoir romano, elle qui est née dans une maison Phénix à trois villages de là, d’une mère Gaz de France et d’un père Télécom. Les bagues ne retiennent pas les années qui filent. Même les cours de gym, si elle en suivait, n’ont pas ce pouvoir.
Elle dit : « J’aurai bientôt trente ans. »
Les enfants demandent si ce sera un petit frère (les filles c’est chiant il faut les protéger). Elle dit : Chut ! Elle ne veut pas qu’ils s’attachent. Tant qu’il n’y a pas de sexe, pas de prénom, pas de nurserie dans la maison, c’est encore un renflement, une boule, une fatigue dans la marche ou un essoufflement. Ça peut encore guérir.
Un jour, dans cet endroit qui s’appelle « plus tard », elle ne pourra plus jouir, ça sera sorti, ça aura poussé, il faudra peut-être commencer à poser la question des pardons : ce sera le temps des choses flasques, filandreuses, auxquelles personne n’est attaché, et qui remplissent tout le vide laissé par la vie en allée.
Chaque jour (presque), elle lui écrit une carte postale. Rien que des campagnes et des ciels clairs. Éphéméride des trois fois rien.
Elle dit : « Téléphoner, on n’a pas le droit. Des fois que ça leur ferait du bien. Et, lui, ça coûte trop cher pour qu’il appelle. »
Il faut tenir les mômes, tenir son homme, tenir son ventre, tenir sa langue, ne rien lâcher, même quand les poignées restent entre les mains (sac de merde).
Il y a des éclairages, au néon brut sur mur crevassé, tavelé de moisissures, qui lui donnent la nausée.
Elle dit : « Je n’ai pas été élevée comme ça. Il a fallu que j’apprenne. Résister, tenir tête et mentir. Maintenant je peux passer le diplôme. Mais au début j’ai eu du mal. »
Un jour, dans cet endroit qui s’appelle « plus tard », son homme sera dehors. À part elle, qui sera là pour le tenir debout, l’aider à ranger les deux années d’absence et passer à autre chose ? Qui sera là pour qu’il se sente bel et bien père, important dans ce qu’il donne aux mômes et l’exemple qu’il leur montre ? Qui tiendra la truelle pour retaper les pans de l’homme tout d’argile affaissé ?
Elle dit : « Ce que je voudrais, si monsieur veut bien, c’est qu’on parte. On emmène les gamins. Une maison dans les collines. Plus jamais vous voir. Personne. Les arbres et le soleil, ça juge pas, ça donne pas des tentations, ça fait pas de mauvaises fréquentations. Que des cigales. »

V**** Par Charles Robinson
Le Matricule des Anges n°164 , juin 2015.
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