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Les mains dans la lutte B****

février 2015 | Le Matricule des Anges n°160 | par Charles Robinson

Il dit : « T’es là, tu comprends rien, tu sais pas quoi faire. On se fait rafaler. T’écoutes les potes, des mecs, sincèrement, si ils connaissent un truc à l’Islam, moi, je suis imam. Ils s’engueulent sur la représentation du prophète. Tes potes. Tu cherches : les journalistes, les machins, je sais pas : il y a quelqu’un qui peut juste dire un truc pour aider ? Les mecs ils parlent amalgame, symbole, vivre-ensemble. Waouh. En face, ils ont des fusils d’assaut. »
Il dit : « Les manifs, j’y suis allé, dès le premier jour. Retourné. Jamais vu ça. Pas un mot. Les gens entre eux. Personne se parle. C’était de la gelée, de la gelée humaine. Hyper froid. Les mêmes slogans que t’avais vus à la télé. En fait, tout le monde le savait que, des phrases, ça nous aurait séparés. Alors c’était : dis rien, c’est un deuil. Quand la nuit tombe, le dimanche, avec le peuple qu’il y avait, tout le monde veut se barrer et, direct, ça pousse comme dans le RER, et tu retrouves tous les visages que tu connais : pas hostiles, OK, pas hostiles. Mais si ça c’est des gueules d’unité nationale, moi, je suis le dalaï-lama. »
Il dit : « Je suis angoissé. Putain. Je suis angoissé. »
Il regarde ses mômes qui courent autour de la table. L’aîné a des croûtes sur le visage, au-dessus de l’œil droit, sur le front, la pommette.
Il dit : « On sait pas ce qui s’est passé. Une bagarre. Ils veulent rien dire. Ils étaient une dizaine. Ils frappent pas fort en maternelle. Une bousculade. Leur maîtresse sait même pas combien ils étaient à se battre. Je lui ai demandé, il veut pas en parler. Tu sais ce qu’il m’a répondu : je suis pas un informateur ! »
Il dit : « Putain. Où est-ce qu’on est ? Qu’est-ce qui se passe… Déjà, on est en guerre ou pas ? Parce que, moi, j’ai toujours pas compris. »
Il ouvre des bières. Après les manifestations, le soir, ils ont invité les potes, les collègues. Tous les soirs : pizza. Comme des étudiants. Ils ont même fumé des pétards après avoir couché les garçons.
Parler. Parler beaucoup. Même si ça s’engueule. Même si ça tourne en boucle de parler. Se chauffer dans le brasero des présences.
Il dit : « Résister ? Je sais pas. Si ça craint pas, moi, je suis pas contre. On fait juste gaffe à cause des gosses. Mais, bon : résister à quoi, en fait ? J’achète leur numéro toutes les semaines ? Ça suffit ? Ou il faut lire des trucs en plus, des livres ? En vrai. Qu’est-ce que je peux : faire ! Pas penser : faire ! Action. »
Il dit : « Alors, avec les potes, on s’est dit : les mecs, on n’est pas plus cons que les autres, on va jouer : on va faire société. On a joué tous les soirs, à la maison, avec les pizzas. On se prenait les sujets dans l’ordre. Discussions. Compromis. C’était pas toujours les mêmes, mais on a avancé. On a fait des propositions. Par exemple : service civique et social obligatoire. Une journée par semaine au service de la société. À vie. Obligatoire pour tout le monde dès l’âge de 13 ans. Pendant un an, tu fais un domaine : tu fais visiteur de prison, tu fais pompier, tu fais aide aux victimes dans un commissariat, tu donnes des cours de rattrapage dans un lycée, brancardier à l’hôpital, tu accueilles des sans-papier et tu leur fais remplir les dossiers de demande d’asile, tu fais la rue avec les SDF, tu vas torcher des vieux, tu nettoies les façades et les jardins publics. L’année d’après tu changes. C’est une mesure, ça coûte rien à l’État, on y a réfléchi pendant deux semaines, écoute, on a tourné ça dans tous les sens : on n’a pas réussi à voir le défaut. Toi, t’en penses quoi ? À la fin du jeu, tout le monde a voté pour, arrivée en tête de toutes les mesures. Bon, en même temps, la deuxième mesure dans les votes, c’était rétablir la peine de mort. Tu vois, c’est compliqué la société, hein ? C’est compliqué. »
L’aîné s’est positionné à l’entrée de la cuisine. Il couvre le salon dont il bloque la quasi-totalité des trajectoires, à part l’arrière du canapé. C’est par là que passe le cadet. En rampant. Puis sur les fesses, dos au salon. La balle de tennis explosive dans une main. Une grenade ? Il cherche le reflet dans la porte vitrée, pour la lancer par-dessus son épaule sans passer la tête hors de sa planque.
Aucun des adultes ne saurait dire quels sont les camps en présence, qui joue qui, qui tue quoi, ni de quel combat il s’agit.
Il dit : « Bon, les mômes. Trêve. L’ONU va apporter la soupe. Alors vous posez votre arsenal. Tout de suite. Et vous allez vous laver les mains. J’ai dit : tout de suite. »
Un piège, savent les garçons. Et face au piège, aucun des deux ne veut bouger le premier. Dès dix ans, ils le savent : ne compte sur personne, il n’y a que des ennemis, des traîtres, des lâches, des pourris et des morts.
Il dit : « Comment on fait la paix, maintenant ? Comment on va juste faire la paix ? Et avec qui on fait la paix, en fait ? »
Il dit : « Putain. Je suis hyper angoissé. Hyper angoissé. »


Charles Robinson

B**** Par Charles Robinson
Le Matricule des Anges n°160 , février 2015.
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