Peut-on exister sans être répertorié ? À cette question angoissante, surtout parmi ces temps où l’œil de Big Brother traverse la Loi sur le renseignement, la jeune auteure russe Anna Starobinets donne une réponse science-fictionnelle qui n’aura pas grand-chose pour nous rassurer.
Chacun porte un « implant » qui le relie à un organisme total : « Le Vivant ». L’ADN d’un mort renaissant au sein d’un nouveau corps, la population ne peut, selon le fondateur « Livre de la vie », excéder trois milliards. Que faire d’un inconnu sans « incode » ni patrimoine génétique, que l’on appelle « Zéro » ? Ce dissident, peut-être involontaire, enfreint les règles du « Service d’ordre planétaire ». Traqué par Ed et Cerbère, il confie son autobiographie, ses inquiétudes au lecteur, alors que « toute déconnexion du socio entraîne la suppression des paramètres individuels ». Quoique « corrigé », qui sait s’il peut être un criminel, alors que ce monde n’en contient plus aucun. À moins que les criminels aient pris le pouvoir…
Ce futur, probable, est à la fois terrifiant et délicieusement tentant. Par exemple, « en mode luxure, tu partages avec tes amis, chacun des cinq sens auxquels tu as accès ». Attention cependant, si l’on fait partie des individus « à vecteur criminalo-destructeur », à ne pas devoir séjourner en cette « maison de Correction » où « le Fils du Boucher », « Cracker » et Zéro sont bientôt soumis à la « rétrospection incarnationnelle » !
Anna Starobinets a créé un univers cohérent et troublant, mais aussi son vocabulaire. Elle sait nous piéger en cette anti-utopie, qui est un digne successeur des chefs-d’œuvre d’Huxley et d’Orwell : ce Zéro, est-ce vous, est-ce moi ? Jusqu’à nos strates les plus profondes, ce nouveau régime romanesque nous étudie, nous réjouit, nous rééduque, nous efface.
Thierry Guinhut
Le Vivant
Anna Starobinets
Traduit du russe par Raphaëlle Pache
Mirobole, 480 pages, 22 €
Domaine étranger Le Vivant
juin 2015 | Le Matricule des Anges n°164
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°164
, juin 2015.