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Domaine français Lutte des classes

février 2016 | Le Matricule des Anges n°170 | par Dominique Aussenac

Pour son deuxième roman, Julia Kerninon délivre une histoire d’amour aussi improbable que subtile et fervente.

Le Dernier Amour d’Attila Kiss

En unissant deux êtres que tout oppose, le dessein de Julia Kerninon apparaît comme géopolitique. Conclure par un amour fou, la fin d’une très vieille histoire. Celle de l’éclatement de l’Empire austro-hongrois, à l’origine d’un des conflits mondiaux les plus meurtriers. La carte du tendre qu’elle élabore camoufle celle d’un théâtre d’opérations. Les frontières de l’intime révélant des zones à annexer. Les échanges amoureux, les corps à corps, des raids éclairs, des bombardements…
Attila Kiss est un peu l’archétype du titi de Budapest. Homme du peuple, débrouillard, il s’est souvent détourné de la légalité pour survivre (trafics, larcins, intimidations…). À 51 ans, il est en attente. D’une nouvelle vie, d’une nouvelle mort ? Il a quitté sa femme, fui son beau-père, caïd mafieux et tyrannique, délaissé sa maîtresse et ses trois filles. Il travaille la nuit dans une entreprise de foie gras. Sa tâche : sexage au cloaque. Il trie les poussins selon le genre, éliminant les femelles. « Et parce que même ravagé, même blessé à mort, il restait la même personne irrémédiablement farouche, le désespoir ne trouva jamais sur lui d’endroit où se poser, et Attila aima la simplicité avec la même ferveur qu’il avait aimé les complications. » Le jour, il peint. Il peint ce qu’il a perdu.
À 25 ans, Theodora Babbenberg, riche héritière d’une famille de l’aristocratie viennoise, n’a pas froid aux yeux. C’est une femme indépendante, sans préjugé. « Son expression, un mélange de fureur, de fierté et d’incertitude en même temps, indéchiffrable. « Tu as vraiment tué ton père ?  » demanda-t-il, et elle rit d’un rire perlé qu’il n’avait jamais entendu. « Bien sûr que non. Non. La mort est une chose sérieuse comme l’odeur du terreau et de la terre séchée en automne. » »
Attila, homme de ressentiment porte en lui les blessures de l’Histoire, une rancœur tenace contre les Autrichiens qui au cours des siècles ont muselé le peuple hongrois. Theodora incarne pour lui à la fois l’amour et la haine. L’invasion de son appartement par la demoiselle, sa culture, ses apparitions-disparitions prennent des allures de conflagration mais qui ne quittent jamais les frontières de son cerveau. Il tait tout cela. Oui, une explosion aura lieu. On le pressent. « Lorsqu’il eut découvert le rang qu’elle tenait sur l’échelle de la fortune, il pensa à nouveau savoir tout d’elle. Comme il l’avait réduite auparavant à la musique, il la réduisit cette fois à la densité de sa richesse, et oublia que la vérité ne se répartit pas exclusivement entre la parole et le silence, entre ce qui est dit et ce qui est tu, mais qu’elle occupe d’abord et surtout les territoires immenses et sans nom qui les séparent.  » Cette lutte des classes cache en fait l’éternelle lutte des sexes. « Attila trouvait presque une forme de réconfort dans le fait de pouvoir la considérer comme coupable. En la malmenant, en étant injuste, il se consolait de la fragilité de sa propre position.  » Toute la finesse du roman est de la révéler. Sans effet de manche, sans grandiloquence, il inverse les statuts, les rôles. Notre trieur de poussins deviendra ainsi peintre-au-foyer. L’écriture alerte, fluide, lumineuse, écrème. Singulièrement positive, jamais mièvre, elle alterne habilement tempêtes de cerveau, noirceurs, dialogues, références historiques, politiques, descriptions de lieux, portraits. Prend toujours de la hauteur.
Passer le cap du deuxième ouvrage est toujours difficile. Même si celui-ci paraît dans un premier temps moins prégnant – la mise en abyme qu’offrait Buvard (Le Rouergue, 2014) n’y atteint pas les mêmes paroxysmes –, il y a dans ce roman une force, une fraîcheur, une virtuosité. Comme un chant de jeune femme heureuse d’être libre et d’écrire.
Dominique Aussenac

LE DERNIER AMOUR D’ATTILA KISS
de JULIA KERNINON
Le Rouergue, « La Brune », 128 pages, 13,80

Lutte des classes Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°170 , février 2016.
LMDA PDF n°170
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