La Femme au Colt 45, c’est Lora Sander. Comédienne au Magic Théâtre, elle a dû quitter L’Azirie pour cause de dictature et tenter de reconstruire sa vie en Santarie, pays de l’autre côté du fleuve. « Entraînée comme un vrai soldat » et « portée par une force surnaturelle », elle se lance dans l’exil avec l’énergie d’une boule de flipper. Ainsi se présente le dernier récit de Marie Redonnet qui depuis 2005 avec Diego n’avait rien publié. Or son retour en écriture est assez remarquable : en dix-sept courtes séquences, les pérégrinations d’une cinquantenaire dessinent une odyssée contemporaine solitaire et sans possibilité de retour. Femme et mère, l’héroïne pense parfois à ses deux hommes dont le souvenir est une amarre lui donnant le courage de poursuivre sa route. Son Colt 45 – cadeau du père – la protège.
Comme Diego (Aki), Lora Sander a le statut de clandestin. L’auteure a l’art de parler de l’ultra-contemporain sans sombrer dans le misérabilisme. Le style y est simple, c’est-à-dire factuel, sobre, dépouillé. Pour ce dernier opus, elle renouvelle encore la forme narrative et, d’une certaine manière, elle la radicalise. Un narrateur (comme une voix off) indique des faits, précise les lieux et, à la manière d’un récitatif, permet à l’histoire d’avancer alors qu’immédiatement après et de manière systématique, Lora Sander prend la parole et, dans un souci de transparence étonnant, raconte tout ce qu’elle fait, pense et se remémore. « J’ai besoin de me reposer avant de commencer la descente en direction du fleuve. Le sentier est escarpé et à pic. Moi qui ai le vertige, je vais être obligé de dominer ma peur. » Étrange manière de parler, très écrite, impersonnelle et surannée comme si le personnage féminin vivait l’aventure de l’extérieur ou plutôt comme s’il était dans l’impossibilité d’intérioriser quoi que ce soit.
Et effectivement, bien qu’armée, Lora Sander est une proie. Aussi pour se protéger elle joue volontiers de son corps comme une professionnelle du sexe et de la scène. Il ne suffit pas néanmoins d’avoir plaisir à s’exhiber ni à faire l’amour pour être une femme libérée. L’identité est une quête incessante et, pour une femme, tenter de s’émanciper de la domination masculine suppose un peu d’entraînement !
Ainsi lancée dans une suite de péripéties invraisemblables, La Femme au Colt 45 fait d’abord penser à l’univers de la BD tant le rythme et le ton en rappellent le principe. Mais à mesure qu’on chemine dans le texte, un charme étrange opère : celui d’une écriture qui se réalise dans les marges et les blancs du texte et que Marie Redonnet revendique comme une nécessité d’ordre presque politique en ce sens que cette part qui incombe au lecteur est aussi ce grâce à quoi il se désaliène d’habitudes de lectures qui ne lui ménagent aucune place.
On sort parfaitement revigoré de cette fable humaniste qui sous couvert de naïveté et d’étrangeté redonne à ce que Deleuze nomme « la littérature mineure » toute sa vivacité.
Christine Plantec
La Femme au Colt 45 De Marie Redonnet
Le Tripode, 116 pages, 15 €
Domaine français Nouveau western
février 2016 | Le Matricule des Anges n°170
| par
Christine Plantec
Un livre
Nouveau western
Par
Christine Plantec
Le Matricule des Anges n°170
, février 2016.