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Intemporels Politique fiction

février 2016 | Le Matricule des Anges n°170 | par Didier Garcia

Dans un roman anti-utopique, le Russe Eugène Zamiatine dénonce le formatage imposé par les régimes totalitaires.

Avant même que d’être un roman, un journal intime (celui du narrateur, alias D-503), un ensemble de quarante notes rédigées jour après jour, Nous autres désigne très précisément tous les membres de l’État Unique, une société vieille d’à peine un millier d’années. La liberté individuelle (tenue pour la mère de tous les maux) y a été abolie afin que chacun puisse vivre un bonheur parfait, dans un monde régi par la rationalité et la logique mathématique. Construite exclusivement en verre (personne n’ayant plus à cacher ni ses désirs ni ses émotions), cette cité-état se trouve enclose derrière le Mur Vert, au-delà duquel nul ne s’est aventuré depuis la Guerre de Deux Cents ans, mais où vivent néanmoins les Méphis, des êtres humains évoluant encore à l’état sauvage (« dans l’état de liberté où sont plongés les animaux, les singes, le bétail »), et qui projettent de renverser le régime.
Parmi ses membres, cette société compte un chef suprême (en la personne du Bienfaiteur), des Gardiens, et des numéros (les habitants n’ayant plus ni nom ni prénom). La vie de chacun y est réglée par la Table des Heures, qui impose à tous les mêmes activités au même moment, en dehors des deux seules Heures Personnelles, dont chacun peut user librement. Comme si cela ne suffisait pas, les relations sexuelles y sont également planifiées, et la population doit se satisfaire de la même nourriture « naphtée » (laquelle a permis de réduire la population du globe aux deux dixièmes)…
Ingénieur de renom, D-503 s’est vu confier la construction de l’Intégral, sorte de vaisseau spatial destiné à porter dans l’espace, vers les habitants d’autres planètes (supposés arriérés), la bonne parole de l’État Unique. Nous autres est d’ailleurs censé être sa propre contribution à la célébration de cette « vie mathématiquement parfaite » qui est la leur.
Las, cette entreprise de propagande va se trouver contrariée. En effet, c’était sans compter sur I-330, autrement dit « l’inconnue, fine, tranchante, souple comme une cravache », qui débarque un beau jour dans sa vie, et qui agit alors sur lui « aussi désagréablement qu’une quantité irrationnelle et irréductible dans une équation » (c’est dire). Lui l’ignore (il ne le découvrira qu’à la fin) : elle a jeté son dévolu sur lui pour se rapprocher de l’Intégral et renverser le régime. Pour lui, c’est le début d’une initiation sentimentale, qui a parfois les allures d’une descente aux enfers, et qui va l’entraîner de l’autre côté du Mur, en pleine illégalité. Cette première expérience de l’amour, observée de manière presque clinique, se heurte sans cesse à sa logique mathématique : « Tout n’était qu’équations, formules, chiffres, et, brusquement, je ne comprends plus rien du tout ». Inévitablement, les mots lui manquent. De là une certaine maladresse à verbaliser ses émotions, laquelle séduit par sa candeur. Le voici en effet presque aussi démuni qu’un enfant. Et son désarroi a de quoi attendrir : « Comment raconter ce qui se passe en moi lorsque s’accomplit ce rite ancien, absurde et merveilleux, lorsque ses lèvres touchent les miennes ? En quelle équation formuler ce tourbillon qui passe d’elle tout entier en mon âme ? »
Ne comprenant pas ce qui lui arrive, se sentant affligé d’un mal qu’il ne sait nommer (il se sent revenu dans « un monde ancien, morbide, dans le monde de la racine de moins un »), il est soudain sur le point de pactiser avec l’ennemi et de porter un coup fatal à la fourmilière, mais heureusement pour lui l’État Unique veille sur ses sujets. Il vient de mettre au point l’Opération ultime, qui débarrassera définitivement chacun de son imagination, faisant ainsi de chaque numéro un être parfait, sorte de machine sans désirs immergé dans un monde idéal où « rien n’arrivera plus »
Écrit en 1920 (donc avant le règne de Staline), publié dans plusieurs éditions étrangères (1924 en Angleterre, 1929 en France) avant que de paraître en russe aux États-Unis en 1952 (en Russie, il restera mis à l’index jusqu’en 1988), Nous autres contient le terreau (fertile) dans lequel pousseront Le Meilleur des mondes d’Huxley et le 1984 d’Orwell. On peut lire ce roman d’anticipation pour ce qu’il est de prime abord, en s’accrochant donc à sa signification politique : un réquisitoire, d’autant plus sévère qu’il était prophétique pour l’Histoire de la Russie, contre les dérives totalitaires (avec l’accord de Staline, Zamiatine quittera d’ailleurs son pays en 1932). Mais on peut aussi se laisser séduire par ses qualités romanesques : l’initiation sentimentale du narrateur est alerte (on ne s’y ennuie jamais), et elle offre au lecteur des pages pleines de grâce, riches d’une surprenante poésie, dans lesquelles la magie du désir reprend enfin tous ses droits. Ce qui est vraiment rassurant.
Didier Garcia

NOUS AUTRES
D’EUGÈNE ZAMIATINE
Traduit du russe par B. Cauvet-Duhamel
L’Imaginaire Gallimard, 238 pages, 8,90

Politique fiction Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°170 , février 2016.
LMDA PDF n°170
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