Écrire un livre à propos d’un livre qui n’existe pas tient de la gageure. Écrire un livre dont le personnage principal est un lecteur qui croit avoir lu un roman qu’apparemment tout le monde ignore peut se transformer en prouesse. Lorsque ce dernier, à l’instar d’un personnage du chilien Roberto Bolaño, se met à quêter désespérément ledit ouvrage et son auteur, une vertigineuse mise en abyme de l’acte d’écrire et de celui de lire, nous emporte. De ce Constantin Caillaud, comptable-lecteur fervent, Colombe Boncenne, née en 1981, dit : « C’est un homme qui se laisse « happer » par la lecture, à tel point que ce qu’il vit et ce qui se passe dans les livres peut se confondre. » Est-il fou ? Est-il victime d’un canular ? D’un traquenard littéraire orchestré par un groupe d’écrivains et de critiques jusqu’ici sérieux et respectables : Jean-Philippe Toussaint, Olivier Rolin, Antoine Volodine, Patrick Kéchichian ou Édouard Launet ? « En jouant avec l’identité des auteurs, en en inventant un (publié aux éditions du Miroir…), en demandant à d’autres (bien réels) de participer à cette fiction et en décrivant mon personnage-narrateur « en quête d’auteur », il est évident que j’interrogeais l’acte d’écriture. » À moins qu’il ne s’agisse que d’un vulgaire coup médiatique ? Dès le début, Constantin connaît à la fois l’auteur du livre, Émilien Petit, et son titre Neige noire. Sauf que cet ouvrage, il l’égare aussitôt. De Petit, il a tout lu. « Quelque chose dans ses romans me touchait beaucoup – une manière de traiter l’amour par l’étrange, de construire des histoires envoûtantes à la frange du vraisemblable –, mais l’essentiel semblait se dérober, s’échapper. Je n’approfondissais pas mes lectures pour autant, attribuant plus volontiers ma gêne à un défaut, une forme d’aboutissement ; l’argument avait pour avantage de ne pas remettre en cause ma capacité à comprendre cette œuvre. »
Émilien Petit, en retrait et aussi à l’affût, prépare-t-il son grand retour sur la scène littéraire ? Ne manipule-t-il pas ce lecteur inconnu qui en parallèle renoue avec une ancienne maîtresse (travaillant elle aussi dans une maison d’édition) ? À moins qu’il n’ait que le désir d’engendrer du réel à partir de la fiction ? De rebondissements en rebondissements, après avoir interpellé éditeurs, auteurs, et secoué le petit monde des lettres, Constantin se voit attribuer à l’insu de son plein gré la paternité de Neige noire. Dans une issue crépusculaire, un western littéraire sur une plage de Normandie, vrai et faux auteurs se rencontreront-ils ? « La blancheur des falaises magistrales éclairait cette nuit sans lune. La mer, en face, était noire comme de l’encre. Il ne me restait plus qu’à emprunter l’escalier dont les marches dégringolaient vers le sable. En bas, Émilien était là, je le savais. » Mais qui est qui ? Qu’est-ce qu’écrire ? Qu’est-ce qu’un emprunt ? Qu’est-ce qu’interpréter ? D’une écriture vive, claire, descriptive (Constantin en est le narrateur, acteur, spectateur, passant incessamment d’un côté à l’autre du miroir), le roman aborde toute sorte de genres, comme dans une volonté de tout expérimenter. « Je crois ne pas être partisane d’une quelconque classification, explique Colombe Boncenne. Dans ce livre, j’ai voulu cependant rendre hommage à la littérature, à sa diversité. En ce sens, oui, je l’ai sans doute explorée par différents biais, mais de manière presque involontaire. » Du réalisme social, en passant par le policier, le fantastique, le roman épistolaire, la critique… « Les scènes initiales et finales sont venues tout de suite. Entre les deux, j’ai eu l’impression de construire un grand jeu de piste. Je suivais mon narrateur dans sa quête, je m’amusais beaucoup à faire naître les situations, les personnages. Dans le même temps, j’ai demandé à quelques complices (journalistes et écrivains) de participer afin de mettre un peu de piment et de voir où cela pourrait mener, de soumettre une intrigue que j’avais construite de toutes pièces à d’autres « auteurs ». Ils se sont prêtés au jeu, et j’ai dû accepter mes propres règles : leurs collaborations ont influencé le cours du récit. Ceci étant dit, pendant toute la rédaction, j’ai tenu un cahier de notes précis avec la datation les moments clés de l’histoire pour ne pas m’y perdre. »
Alors Comme neige, un roman trop brillant ? Un roman de copains-parrains prestigieux ? Un roman formaté ? Faut dire que côté monde de l’édition, Colombe Boncenne en connaît un rayon. « Il a été et reste un poste d’observation merveilleux ! Et je suis tombée dedans quand j’étais toute petite comme dirait Obélix ; mes deux parents ont travaillé dans l’édition, la vie littéraire. Comme neige est un roman dont une partie de l’intrigue se situe dans ce monde littéraire, sans toutefois, je l’espère, être un roman de « milieu », ou une tentative d’utilisation de mon milieu, plutôt un témoignage de tendresse infinie à son égard. » Un roman vrai, frais, haletant, métaphysique, avec des zestes de mélancolie et de gros morceaux de sarcasme.
Dominique Aussenac
COMME NEIGE
de COLOMBE BONCENNE
Buchet Chastel, 120 pages, 11 €
Domaine français Lecteur, ce héros !
mars 2016 | Le Matricule des Anges n°171
| par
Dominique Aussenac
Le premier ouvrage aussi maîtrisé qu’ambitieux de Colombe Boncenne rend hommage au roman inconnu. Jeu de piste.
Un livre
Lecteur, ce héros !
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°171
, mars 2016.