Un livre

Magie industrielle

de Patrice Blouin

Editions Hélium

Si au XXIe siècle le jour est plus que jamais logique, la nuit, quant à elle, n’est plus strictement mystique : elle est surtout numérique. La mythologie du 3e millénaire nous est chaque soir contée dans ces temples modernes que sont les cinémas. Les blockbusters sont les nouvelles tragicomédies populaires, et si Ovide devait aujourd’hui encore conter ses métamorphoses, sûrement s’inspirerait-il alors des fables proposées par Avatar, Spider-Man, the Transformers ou X-Men. C’est du moins ce que nous offre l’écrivain et critique de cinéma Patrice Blouin, dépliant en une vingtaine de poèmes prosaïques, comme vingt visages empruntés le temps d’un courant électrique, les voix intérieures des super-héros contemporains. Il y a les « reines des balles perdues » ou les « patchworks de muqueuses », ceux qui possèdent « toute une collection d’yeux », «  trop d’organes et pas assez de corps » et ceux qui « se télé-portent », « se désagrègent  », tous se donnant peu ou prou à voir comme des « monstres de laboratoires (…) à super-pouvoirs et faiblesses immenses ». Et tout cela va vite : c’est chaque fois en deux pages que l’on traverse apocalypses, royaumes marins et régions de la disproportion ; en deux pages que l’on naît, court, combat, meurt, pleure, ressuscite et mute ; en deux pages aux phrases courtes et condensées que l’on traverse l’intensité du monde, des phrases qui, comme les super-héros se ruent aux combats, naissent pour aussitôt filer au point. Si bien que s’enfante, au fil de la lecture, un rythme pareil à celui des longs-métrages aux millions d’entrées : efficace et saccadé. Si saccadé d’ailleurs qu’il crée une discontinuité dans la lecture, freinant le décollage durable des songes et façonnant dès lors, plus qu’un ample univers magique, des sortes de vifs hoquets oniriques.
Blandine Rinkel

MAGIE INDUSTRIELLE
DE PATRICE BLOUIN
Hélium, 88 pages, 12,90 €