On sait tout de suite que Glenn Taylor ne les pendra pas : Abe Baach et Goldie Toothman ont un truc en plus. Ils sont le Keystone Kid et la Reine, le fils du cordonnier et la fille du bordel, jeunes, beaux, amoureux, joueurs de cartes et prestidigitateurs surdoués. On ne peut pas en en dire autant du nabot Rutherford Rutherford, chef de la police, qui organise leur pendaison, la première à Keystone depuis treize ans – on est en 1910. Si le texte s’ouvre sur une préparation de condamnés à mort dans les règles, aucune inquiétude donc. Il va se passer quelque chose. Reste à savoir quoi, comment ; et surtout : pourquoi on en est arrivé là.
Glenn Taylor nous offre la genèse du drame, et fait revivre cette petite ville minière de Virginie-Occidentale, au tournant du XXe siècle, avec ses rues, ses bars, son bordel, ses riches méchants, ses gentils silencieux. Visuellement, on est très proche de Lucky Luke : « dans la rue, un Chinois en haut-de-forme marchait plié en deux, une grosse malle sur le dos ». On verrait bien les frères Coen ou Tarantino se pencher sur un scénario. Mais même sans ça, le texte se suffit à lui-même, avec d’abord sa fabuleuse galerie de portraits. Outre le couple parfait et le nain mangeur d’œufs, saluons Trent, le maire sournois, les frères Beavers, et puis Jake, Samuel, Al, Sallie, Tony Thumbs et son singe, Ben Moon, président de la Compagnie des Cartes à Jouer de la Lune Radieuse. Glenn Taylor fait de Keystone, « Sodome et Gomorrhe contemporaine », le cœur d’une histoire de trahison et de vengeance, de bluff et de tours de passe-passe, avec mises en abîmes perpétuelles et jeux de décors. Pendaison à Cinder Bottom est un roman réjouissant, un western revisité aussi énergique qu’élégant. Un roman comme un jeu, on en redemande.
Julie Coutu
PENDAISON À CINDER BOTTOM
DE GLENN TAYLOR
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Brice
Matthieussent, Grasset, 384 pages, 22 e
Domaine étranger Pendaison à Cinder Bottom
juin 2016 | Le Matricule des Anges n°174
| par
Julie Coutu
Un livre
Par
Julie Coutu
Le Matricule des Anges n°174
, juin 2016.