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Égarés, oubliés Supporter les barbares

septembre 2016 | Le Matricule des Anges n°176 | par Éric Dussert

Princesse instruite de Constantinople, Anne Comnène fomenta un coup d’État et rédigea une impressionnante chronique du règne de son père l’empereur Alexis Ier.

On n’avait pas eu l’occasion jusqu’ici d’accueillir en ces pages une princesse, originaire de Byzance en particulier. C’est la parution du dictionnaire consacré par Bruno Dumézil et son équipe aux Barbares (voir page 8) qui nous a ouvert l’esprit et l’appétit. Non qu’une pointe d’anthropophagie nous submerge, c’est bel et bien la personnalité d’Anne Comnène – on ne la confondra pas avec Marie-Anne Comnène (1887-1978), l’épouse romancière de Benjamin Crémieux. La personnalité de la princesse byzantine et l’intérêt de son écrit qui déborde lui aussi d’atouts séduisants.
Née le 2 décembre 1083 à Constantinople, fille de l’empereur Alexis Ier (1080-1118) et de l’impératrice Irène Ducas, elle rédigea en effet une épopée, l’Alexiade, à la gloire de son géniteur. Cette épopée apologétique en quinze livres inspirée de l’Iliade d’Homère et de l’Héracliade de Pisidès, publiée en français dans la « Budé », la fameuse collection de textes de classiques grecs et latins des Belles Lettres entre 1937 et 1976, nous permet de côtoyer de manière exceptionnelle une femme lettrée de la civilisation byzantine du XIIe siècle, de formation à la fois chrétienne et profane. Et si l’on en croit le préambule qu’elle donne à son récit, les femmes n’y comptaient pas pour des prunes – on se souvient des Zoé porphyrogénète et consœurs qui s’emparèrent de trônes qui ne leur revenaient pas, ce que manqua d’ailleurs de réussir Anne Comnène dans son coup d’État de 1119 contre son propre frère Jean. Écoutons-la : « Le temps, qui coule irrésistiblement et d’un mouvement ininterrompu, entraîne et emporte avec lui tout ce qui est en passe de devenir pour l’engloutir dans un abîme d’oubli, aussi bien les événements indignes de retenir l’attention que ceux qui sont grands et dignes de mémoire, et comme dit le tragique (Sophocle), il fait naître ce qui est caché, et ce qui est paru, il voile. () C’est parce que j’en suis convaincue, que moi, Anne, la fille des empereurs Alexis et Irène, née et élevée dans la Porphyra (la salle du palais où venaient au monde des enfants de rang impérial), qui non seulement ne suis pas étrangère aux lettres, mais qui me suis encore attachée à la connaissance approfondie du grec qui, sans avoir négligé la rhétorique, ai lu avec attention les traités d’Aristote ainsi que les dialogues de Platon, et qui ai mûri mon esprit par le quadrivium des sciences (car il me faut bien divulguer, et ce n’est pas jactance, tout ce que je dois à des dons naturels et à mon goût pour l’étude, comme toute ce dont m’a gratifié le Dieu très haut, avec l’apport dû aux circonstances), je veux, dans cet ouvrage que j’écris raconter les actions de mon père qui ne doivent pas être livrées au silence, ni être entraînées par le torrent du temps comme dans un océan d’oubli, aussi bien toutes celles qu’il accomplit une fois maître du pouvoir, que toutes celles qu’il fit avant son couronnement au service d’autres empereurs. »
Naturellement, la chronique d’Anne Comnène est unique en son genre et réprésente l’une des très belles pièces de la culture byzantine. D’abord, il faut souligner que cette femme du XIIe siècle assume sans hypocrisie son appétit de pouvoir. Elle ne le souhaite d’ailleurs pas tant que pour elle que pour son mari, le beau Nicéphore Bryenne, historien et guerrier qui meurt en 1147 sans terminer l’histoire de la famille des Comnène qu’il a entrepris. La princesse va le pleurer le reste de sa vie et son épopée en porte la marque.
Par ailleurs, et c’est exceptionnel aussi, Anne s’implique directement dans son discours et assume un « je » inhabituel avec une aisance qui ne se reverra pas dans l’histoire de la littérature avant bien longtemps. Enfin, elle nous apprend, du bout des lèvres parfois car ces gens sont bien grossiers, des tas de choses passionnantes sur les barbaroi, ces étrangers qui pullulent autour et à l’intérieur de l’Empire byzantin. Ces mal élevés sont Scythes, Francs, Petchénègues ou Coumans et n’appartiennent pas à la sphère d’influence gréco-romaine dont Byzance entend assumer l’essentiel du patrimoine culturel, en tant que continuité directe de l’empire romain d’Orient. Aux yeux de la princesse, et elle l’écrit, ces barbares et tout particulièrement les croisés qu’elle n’apprécie pas plus que ça, se régalent de la guerre, « naturellement enclins au massacre » qu’ils sont. Sans compter qu’ils sont arrogants, cupides, incapables de résister à des cadeaux et pleins de jactance. Soit, mais la princesse est fine mouche : elle sait que Byzance a intérêt d’observer ces personnages pour en tirer si l’occasion se présente des avantages. Ce qu’elle ne pourra faire elle-même après l’échec de sa tentative de putsch. Elle termine ses jours aux alentours de 1150/1155 après avoir clos son récit passionnant et plein de vie, ajoutant son nom après ceux d’Hypatie et Sappho, en tête du registre des femmes qui ont marqué les lettres et la pensée.

Éric Dussert

Supporter les barbares Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°176 , septembre 2016.
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