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Domaine étranger Albert disparu

novembre 2016 | Le Matricule des Anges n°178 | par Camille Cloarec

Une famille passagère de Gerard Donovan nous introduit dans l’esprit d’une femme en mal d’amour, selon un récit sensible et trépidant.

Une famille passagère

J’ai reçu un don à la naissance : j’ai des traits banals », signale la narratrice. Aucune description, aucun nom ne vient réfuter ce constat. D’elle, nous saurons seulement qu’elle est une femme d’âge mûr, seule, qui se promène un jour de septembre 1938 dans une ville balnéaire du Kent, seule, et qui s’empare d’une poussette qui traîne. Seule. Ses motifs sont vagues et évidents. « Je l’avais emmené avec moi pour donner quelque chose à aimer à l’amour qui était en moi ». Ce geste soudain, planifié depuis l’achat du manuel, Le Bébé édouardien, n’a rien de hasardeux. Car posséder un enfant à soi apparaît comme une solution, voire une salvation contrant toutes les problématiques majeures : la solitude, l’échec, la vieillesse. La poussette, accessoire miraculeux, permet à elle seule « de jouir d’une identité » dans n’importe quel lieu. Avec un landau, personne ne vous regarde plus de travers. Vous possédez désormais un statut précieux, celui de mère, de génitrice. Et, par chance, la compagnie des bébés est sans heurt. Ils « se fichent de ce qu’on a été, de ce qu’on est devenu, ou de la raison pour laquelle on a échoué dans la vie. » Ni préjugé, ni jugement hâtif. Un bébé comble un vide, sans trop déranger.
Cependant, au fur et à mesure que se dévoilent ces motivations d’une lucidité douteuse, l’automne se rafraîchit, et la joie maternelle s’assombrit. L’enfant prend plus de place que Le Bébé édouardien ne le laissait présager. Son âge, son sexe et son identité demeurent impénétrables : « Garçon ou fille ? Impossible à dire. C’est tout leur charme. » Tout est donc à construire. Si sa nouvelle mère est idéale, son arbre généalogique s’inspire directement de cartes postales dénichées dans les brocantes. Ne lui manque qu’un prénom : ce sera Albert. « Des gouttes constellèrent le pare-brise. Nous avions là notre baptême, simple comme la pluie. Les choses sacrées sont gratuites pour tout le monde. » Mais voilà, présentement Albert n’y comprend pas grand-chose, à la vie. Il réclame des couches et des biberons, crie, interdisant toute perspective de cinéma. Lentement, l’entrain de la narratrice s’affaisse.
L’Irlandais Gerard Donovan, face à cette femme égarée qui traverse la côte anglaise au volant de son Austin en quête d’affection, fait preuve d’un humour délicat, presque tendre. Ses contradictions sont drôles et attachantes. « Je laisse mes pensées se porter vers ce qui est beau dans la vie, vers l’ordre du monde  », se persuade-t-elle. L’auteur prête une attention toute particulière au paysage qui défile derrière les vitres. Les fêtes foraines qui se replient, la douleur des couchers de soleil (« Un enflure violacée grossissait à l’horizon : meurtrissure de crépuscule. Chaque jour se termine par une blessure »), la magie d’une averse soudaine sont autant de prétextes à la mélancolie. En effet, si la cruauté de son histoire est grande, puisqu’elle évoque un enlèvement d’enfant et une vie absolument gâchée, l’écriture de Gerard Donovan est si poétique qu’elle absout tout. Elle pardonne ce coin d’Angleterre ouvrière qui profite de ses premiers congés payés alors que la guerre menace. Elle arrondit les bords anguleux de ce monde dans lequel une femme sans famille n’est rien. Enfin, elle console de la perte de l’enfance. « Dans le noir ou la lumière, aimés ou non, d’un milieu riche ou pauvre, des enfants se réveillent le matin dans leur chambre et disparaissent le soir, à jamais. »
Le passé de la narratrice est entouré d’un voile mystérieux qui ressemble à la brume dans laquelle elle roule. Sans doute n’a-t-elle pas toujours été ainsi, égoïste, malade et paumée. Mais c’est cette inconséquence qui, en la faisant camper dans sa voiture, hanter les plages et oublier l’enfant n’importe où, la rend si romanesque. Ses choix sont autant de rebondissements malhabiles qui construisent une intrigue bancale, perdue d’avance. « Seul un événement exceptionnel peut diviser une vie en un avant et un après. Je n’avais jamais connu un tel événement jusque-là. » Le vol d’Albert est bien cet événement extraordinaire (extraordinaire par sa morbidité même, contrairement aux rêves glorieux de la coupable). Seul demeure son appel au secours – immense. « La magie vivait sur une feuille tombante. Quand nul ne la regarde, elle se dissipe. Si on les néglige quelques brèves années, les couchers de soleil rouillent dans les villes côtières abandonnées. »

Camille Cloarec

Une famille passagère, de Gerard Donovan
Traduit de l’anglais (Irlande) par Georges-Michel Sarotte, Seuil, 191 pages, 17,50

Albert disparu Par Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°178 , novembre 2016.
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