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Textes & images French mulder

janvier 2017 | Le Matricule des Anges n°179 | par Éric Dussert

Pandore original, le gendarme Tizané courait les maisons hantées de nos campagnes. Il laisse de magnifiques archives.

Les Forces de l’Ordre Invisible

Cet automne, si un livre a marqué les esprits, c’est bien Les Forces de l’ordre de l’invisible de Philippe Baudouin, qui, après avoir farfouillé à Paris les dossiers de l’Institut Métapsychique, a eu l’opportunité de pénétrer les archives familiales des Tizané. Dans une cave de Haute-Savoie, les deux fils du gendarme Émile Tizané (1901-1982) conservaient l’échantillon magnifique d’une passion française : le paranormal. Quel trésor ! Après l’Américain Charles Fort et son Livre des damnés (1919) ou l’immanquable Matin des magiciens (1960), la grosse machine galvaudée du duo Jacques Bergier et Louis Pauwels – ce dernier, assez gâteux il faut le préciser, est resté dans les annales pour sa stigmatisation du « sida mental » de la jeunesse –, une nouvelle pierre (ponce) est à ajouter à l’édifice (branlant) de la parapsychologie et du spiritisme réunis.
Les notes, coupures de presse, dossiers d’enquête et rapports du gendarme nous offrent un spectacle sidérant, magnifiquement coloré, calligraphié, délicieux. Homme d’ordre apparemment rationnel, précis et méticuleux, voire pinailleur comme sait être un gendarme à l’ancienne, cet enthousiaste pandore était en réalité le facteur Cheval de l’ectoplasme. Coursant avec sa brouette mentale le gravillon du petit fait incontestablement inexplicable tout au long d’une carrière impeccable de fonctionnaire médaillé, il nous a laissé des œuvres graphiques et littéraires, si l’on peut dire, d’un singulier achevé. De l’art ectoplasmique brut, et en couleurs !
Évidemment, cet artiste défraye aujourd’hui la chronique grâce au bel album des éditions du Murmure. Il nous explose même à la figure comme le ferait un juteux sujet de thèse de sociologie des zones méconnues de la société française à peu près ensauvagée. Du périurbain et du rural bien acculturés plutôt que de l’urbain à la Jacques Yonnet (Rue des maléfices, 1953), soyons précis, avec jet de casseroles et de sucriers, déplacement de tiroirs, bris de verre, griffures, hantises, coups frappés, etc. Et toujours dans la proximité d’une personne-antenne, si l’on peut dire, celle qui concentre à son corps défendant l’attention de « l’homme inconnu » (poltergeist, présence envoûtante, appelez ça comme vous voulez). Trente-neuf enquêtes tout de même. La première eut lieu en 1930 à Seyssuel (Isère), à côté de Vienne-la-Belle, bien connue des chasseurs de trésor qui croient dur comme fer que le bâtiment de la commanderie des Templiers sise en bordure de Rhône cache le butin croisé.
Émile Tizané ne fut curieusement pas sanctionné par sa hiérarchie, qui devait considérer qu’il valait mieux une collection de suaires que les trop récurrentes cuites au pastis de ses argousins de collègues. Elle n’adhérait cependant pas aux méthodes et se carrait bien le fruit de ses enquêtes derrière l’oreille, contrairement aux grands savants qu’étaient Jean Cocteau, Gabriel Marcel, Maeterlinck ou Armand Carrel… S’en étonnera-t-on ? Assez fumeux, ces quatre flageolants ont tous soutenu les travaux de l’original enquêteur et ses livres comme L’Homme inconnu dans les crimes sans cause (1962) ou Il n’y a pas de maisons hantées ? Journal d’un enquêteur incrédule, 1925-1933 (1971). Lorsque l’on veut vraiment un Ailleurs et un Autre, n’est-ce pas, tout est affaire de détermination et d’engagement.
Qu’en est-il de notre propre fascination pour l’obstination du gendarme ? À travers ce goût si curieux de l’archive – qui est une tradition française ou une perversité d’époque ? –, il nous revient que l’accumulation dit assez bien le caractère obsessionnel et, en même temps, le fondamental ressort du démon d’écrire. Comme nous le disaient, non pas les ombres mais Arlette Farge et Ben Kafka dans leurs témoignage et essai de 1989 et de 2013. Et comme écriveur, Tizané se pose un peu là. Dans des calligraphies souvent formidables, ses manuscrits ahurissants parlent tellement de son amour du désordre, et du désordre sans cause, qu’on n’a aucune difficulté à déceler chez lui une part de schizophrénie latente. « Un effet intelligent doit avoir pour cause une puissance intelligente, écrivait-il. C’est cette puissance intelligente que je vais essayer d’étudier. » Mais pourquoi s’arrêter là ? Pourquoi ne pas militer pour la révolution prolétarienne tant qu’on y est ? Pour le renversement de l’ordre bourgeois et du patriarcat, de la civilisation judéo-chrétienne et de l’économie capitaliste ? Mais l’homme inconnu, ce voyou sans feu ni lieu, a jalousement gardé ses mystères et le chaos cosmique n’a même pas entrouvert ses portes à notre intrépide enquêteur.
Bref, Fox Mulder était français.

Éric Dussert

Les Forces de l’ordre invisible,
de Philippe Baudouin
Le Murmure, 271 pages, 39

French mulder Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°179 , janvier 2017.
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