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Essais La contrevie

février 2017 | Le Matricule des Anges n°180 | par Thierry Cecille

Avec intelligence et empathie, Clara Royer éclaire le parcours d’Imre Kertész : comment un être sans destin s’invente un destin d’écrivain.

Imre Kertész qui, encore adolescent, avait connu les camps et y avait survécu, est mort en 2016, âgé de 76 ans. Ses dernières années furent difficiles : outre la maladie de Parkinson, il dut souffrir de voir son pays, la Hongrie, chérie et haïe à la fois durant toute son existence, s’acheminer peu à peu vers une démocrature caricaturale, en proie à ses anciens démons du nationalisme et de l’antisémitisme. Plus douloureusement encore peut-être, il lui fallut s’accommoder (et y parvint fort mal) de son nouveau statut, iconique dirait-on aujourd’hui (et il en rirait jaune), non seulement de survivant de la Shoah mais aussi de professionnel de ce qu’il nommait lui-même L’Holocauste comme culture. Entre l’agacement quotidien et le profond remords, il endossa surtout à partir de l’attribution du prix Nobel en 2002, ce costume pathétique et glorieux à la fois, guenille christique ou tunique de Nessus.
Dans cet « essai biographique » d’une admirable précision et d’une grande clarté, Clara Royer approche au plus près ce qui s’apparente à un voyage au long cours à travers le second XXe siècle, en compagnie de Kertész, au cœur de cette « autre Europe », longtemps tenue éloignée de la nôtre, de l’autre côté du mur, et aujourd’hui encore si surprenante ou décevante parfois. Ce riche travail est étayé sur l’ensemble des œuvres de Kertész, mais également sur son Journal, dont Clara Royer put consulter le tapuscrit, et sur de nombreux entretiens que l’écrivain lui accorda, entre 2013 et 2015. Toutes ces sources rassemblées permettent de faire comprendre comment l’adolescent, de retour à Budapest après avoir été arrêté en juin 1944, âgé alors de 14 ans, déporté à Auschwitz puis à Buchenwald où il fut un musulman cadavérique, devint, se voulut, se construisit écrivain, peu à peu, dans la Hongrie elle-même devenue communiste. Ce fut bien, en effet, une lente maturation, un effort de chaque jour, contre les aléas du doute et la tentation du silence – et souvent la dépression, voire la tentation du suicide, menaçait.
Kertész dut, pour survivre matériellement, être un piètre fonctionnaire puis collaborer à l’écriture de comédies légères, ou se reposer sur son épouse. L’échec de la révolution de 1956 renforça chez lui la certitude d’être une sorte d’émigré de l’intérieur – mais il prit la décision de ne pas s’exiler, sans doute attaché avant tout à la langue hongroise. Durant ces longues et pénibles années, alors que János Kádár (au pouvoir de 1956 à 1988) inventait le « communisme du goulash », un totalitarisme au visage un peu plus humain qu’ailleurs, Kertész s’épuisait sur un premier projet – Moi, le bourreau – qu’il ne mena jamais à bien. Ce ne fut que très lentement qu’il entrevit ce qui allait devenir Être sans destin – qui, jusqu’à la veille de sa parution, eut pour titre provisoire, plus factuel et moins métaphysique, Le Musulman. « Le passage d’un texte à l’autre n’alla pas sans crainte ni revirement. Trahison de soi. Impudeur. Tentation d’un réalisme petit, journalistique. Inactualité . » Il lui fallut donc encore de longs efforts – treize années au total – pour trouver sa voix.
Être sans destin ne suscita, à sa parution, que peu de réactions mais Kertész parvint à poursuivre, dans ses œuvres suivantes, son exploration de ce qu’était devenu l’homme au XXe siècle. Sa tâche était d’autant plus complexe qu’il désirait, influencé par des figures tutélaires aussi imposantes que Nietzsche et Camus, inscrire son expérience dans une réflexion plus large sur ce qu’il appelait « l’homme fonctionnel », celui qui, sous le nazisme ou le communisme (ou notre libéralisme consumériste ?) « se disperse dans le vide des faits. Il ne pourra plus jamais reconstituer sa vie aliénée à partir de particules inconnues qui se fuient dangereusement. Il devient le contraire de l’homme : une machine, un schizophrène, un monstre. Il devient victime et bourreau ». La reconnaissance vint lentement, et d’abord d’Allemagne, si bien qu’après 1989, ce Juif admiré par les Allemands fut alors, de nouveau, un gêneur : la mémoire qu’il explorait cadrait mal avec les nouveaux slogans de cette Hongrie enfin libérée. Mais Kertész s’obstina, jusqu’au bout, à décrire « l’homme de la catastrophe ». Avec courage, sans défaillir, il prend son existence comme un matériau brut à travailler « car il habite ses textes. Ils se sont substitués à l’expérience d’avant les mots qu’il a arrachés de lui-même pour l’écrire (…). Ses œuvres sont devenues sa mémoire d’homme, et Kertész un homme-texte ».

Thierry Cecille

Imre Kertész : « L’histoire de mes morts », de Clara Royer, Actes Sud, 396 pages, 24

La contrevie Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°180 , février 2017.
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