CCP N°33
Cahier critique de poésie consacre un double numéro à la traductrice, mais aussi auteure et essayiste, Danièle Robert ainsi qu’à l’écrivaine japonaise Ryoko Sekiguchi qui, depuis son arrivée en France dans les années 90 a d’abord traduit ses propres livres vers le français, avant de les écrire directement en français. L’apport et la frontière, la fidélité et la dissidence, voire la licence, le rapport de réécriture nécessaire du passage entre deux langues forment un questionnement commun à chacune d’entre elles. Ce que Danièle Robert ne cesse d’interroger comme traductrice réputée d’auteurs latins (Ovide, Catulle, Cicéron), ou anglais (la poésie de Paul Auster), ainsi qu’italiens – contemporains ou appartenant à ceux du dit dolce stil novo, dont Guido Calvacanti (Rime) ou Dante (elle a récemment retraduit L’Enfer). C’est avec une rigueur redoutable que Danièle Robert conçoit le transfert si singulier qu’opèrent l’art et l’écriture du traducteur. Car si le traducteur n’est pas esclave, ni même esclave affranchi de son auteur, c’est qu’il travaille à partir d’un matériau (une langue) où se cherche la résonance interne au texte, non le mime de son action apparente. Son « mouvement vrai » étant « dans la mélodie interne » précise F. Valabrègue citant Klossowski. Les entretiens menés par G. Arseguel et J.-P. Para sont eux aussi remarquables quant au processus qu’ils décrivent pour rendre palpable son travail, notamment les rebonds qu’elle réfléchit (en autant de reflets) de Dante à Calvacanti par exemple. Le parallèle qu’Yves Boudier fait entre le De vulgari eloquencia de Dante et l’acquisition de la langue chez les jeunes enfants, cette langue d’avant où s’expérimente autant la concrétude du vocable que la leggerezza pensosa, tout sauf frivole, ouvre pour lui un « véritable lien de chair vocale et musicale entre le poème et l’émotion ». Ce que P. Parlant appelle aussi « vouloir aujourd’hui ce que le poème aura voulu jadis », soit endurer la route gauchie contre la plus courte. E.L.
CCP N°33, 96 pages, 12 €