Ahmed Madani est auteur et metteur en scène. Il fut directeur du Centre dramatique de l’océan Indien mais aussi psychothérapeute. Donc, à l’écoute. Illumination(s) et F(l)ammes sont des récits de vie, des rencontres mais aussi des témoignages de jeunes habitant la banlieue. Ils ont accepté de confier à l’auteur leur intimité. De lui raconter ces petites choses, ces petits moments, tous ces détails qui constituent leurs vies. Il en a fait des textes qu’ils ont ensuite accepté de jouer sur scène. Il a certainement fallu beaucoup de travail, beaucoup de confiance, beaucoup d’écoute de part et d’autre pour que ces jeunes, comédiens non professionnels, arrivent à dépasser leurs doutes ou leur pudeur. L’une des comédiennes le dit d’ailleurs très simplement : « On lui dit des choses, à Ahmed, il nous pose plein de questions, et au final on se rend compte que tout est écrit sur le papier. » À quoi une autre répond : « On se dévoile, on se révèle, et en même temps tout le monde se retrouve dedans. On est en sécurité en fait. »
Illumination(s) parle des hommes, des hommes jeunes. Sur trois générations : il y a d’abord les grands-pères engagés dans la guerre d’Algérie, et c’est tout un pan de notre histoire qui défile avec ses douleurs, ses promesses, ses mensonges, ses humiliations et ses tortures. Une histoire toujours si proche et qui a encore aujourd’hui beaucoup de mal à passer. Et puis il y a les pères venus travailler ici parce que nous avions besoin d’eux pour construire la France et qu’ils avaient besoin de gagner de l’argent. Et puis vient le tour des enfants, les petits-fils des premiers, intégrés mais jusqu’à quel point : leur seul horizon, c’est le métier de vigiles. Le plus paradoxal pour eux : « Nous sommes les forces de sécurité / nous sommes là pour vous protéger de nous-mêmes. » Ce sont eux qui racontent cette longue histoire tissée de drames et de violences, mais aussi d’espérance et de foi dans l’avenir : « Je fais le rêve que mon fils Gibril ne vivra pas ce que j’ai vécu et que la France le reconnaîtra comme l’un de ses enfants. » Il est difficile de dire plus clairement les choses.
F(l)ammes se tourne du côté des femmes. Issues de l’immigration, elles portent en elles des cultures qui déjà leur assignaient un rôle de subalterne. En France où tout semble possible, il faut quand même posséder la bonne couleur de peau, et un prénom acceptable. En articulant le moins possible, Anissa fera en sorte que son prénom devienne Vanessa pour le confort de tous. Monologues personnels et intimes, dialogues aigres-doux avec d’autres femmes et parfois aussi avec la salle, il y a dans ces récits une douceur, une mémoire du temps passé, et là encore des projets d’avenir : « je n’ai pas besoin de liberté car je suis libre, je n’ai pas besoin de fraternité car j’ai des frères et des sœurs, en vérité j’ai seulement besoin d’égalité. »
L’écriture de ces deux textes procède d’une forme de collectage. Ahmed Madani est allé chercher ce qui se cachait au fond de ces corps en colère. Il a fait sortir les mots qui racontent, ceux qui témoignent et ceux qui dénoncent. Mais aussi ceux d’Anissa pour dire son bonheur de manger la mahjouba que préparait sa grand-mère et ceux de Chirine à qui son père a fait faire du karaté (ceinture noire) parce qu’ « il avait peur que je me fasse violer dans la rue ». Les monologues où chacun se dévoile, maltraitant sa pudeur, alternent avec les moments de choralité où c’est tout le groupe qui existe et s’affirme en tant que tel. Pour nous dire que chacun a son histoire, son parcours, son récit de vie ; mais qu’en même temps tous appartiennent à ces groupes que la France a tant de mal à accepter. Patrick Gay-Bellile
Illumination(s) suivi de F(l)ammes,
de Ahmed Madani
Actes Sud-Papiers,120 pages, 15 €
Théâtre Banlieues sur scène
juillet 2017 | Le Matricule des Anges n°185
| par
Patrick Gay Bellile
Des jeunes racontent leur vie quotidienne, leurs doutes et leurs espoirs.
Un livre
Banlieues sur scène
Par
Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°185
, juillet 2017.